Ce récit est dans mon top dix des histoires qui marquent mon âme.
Voilà cinq ans, ils parviennent à tuer ceux qui caricaturent, ceux qui grossissent le trait, pour un public non pas avide de la facilité ni de la blague sans fond, mais un public qui souhaite garder un esprit critique, un public qui aime avoir un esprit éclairé sur les choses du monde. Un public, des lecteurs, des citoyens qui veulent regarder, lire les événements qui surviennent de par le monde à travers un autre média. Un public qui aime rire et prend les choses avec légèreté parce que pleurer à longueur de temps c'est fatiguant, rire soulage.
Ce public français refuse la pensée unique et les amalgames échafaudés rapidement, il refuse le diktat depuis longtemps. Ce public français garde les yeux ouverts. Ce public aime l'expression écrite comme orale, il en demande et en achète en permanence, c'est un besoin accolé à celui de boire un thé le matin.
Suite à cet attentat Monsieur Lançon prend le temps de donner sa version intérieure. Il commence un peu avant l'événement puis me fait vivre l'attentat en lui-même. Il m'explique ensuite ce mélange : calvaire, souffrance, déchéance de la bouche, culpabilité, résilience, guérison. Je l'en remercie, je vous donne à mon tour ce je retiens de ce récit stupéfiant.
J'écris ci-après quelques idées directrices qui marquent mon âme :
Le paradoxe : Monsieur Lançon est victime et pourtant il ressent de la culpabilité.
La haine : Elle est absente de toutes ces lignes, pas un soupçon d'appel à venger ces gestes très lâches. Cette irruption meurtrière ignoble sur des personnes sans défense peut provoquer une réaction en chaîne. C'est normal. Cette balle tirée traverse sa bouche, cette balle détruit sa bouche et ses dents, cette balle détruit son moyen d'expression. Il lui reste ses mains, sa pensée. C'est tant mieux.
La haine déconstruit. La résilience, sa prise de distance avec l'événement le sauve. Il ne s'occupe pas de trouver un coupable, c'est inutile. Pendant un moment, il se coupe de l'actualité immédiate. Il se concentre sur les opérations et sa guérison.
L'obsession : Ce cas n'est pas isolé des blessés à la guerre, il y en a beaucoup. Mais là l'explication est si précise que je pense à lui à ce qu'il endure, quand je conduis pour me rendre sur mon lieu de travail, quand je m'endors, quand je travaille ou que je fais la vaisselle. Un récit me fait rarement cet effet-là. Ce récit peut, peut-être, servir d'exemple pour tous ceux qui n'ont rien demandé à personne, pour tous ceux qui sont pacifistes, pour tous ceux qui souhaitent juste vivre sans souffrir de la bêtise humaine. Pour tous ceux qui dénonce la haine, pour ceux qui essaient de vivre en paix.
La forte empathie que je ressens pour le souffrant :
Je ne connais pas Monsieur Lançon, pourtant à partir du moment où il entre dans cette chambre à la Salpêtrière, je veux qu'il guérisse vite. Il m'explique comment il recommence à manger, à boire, à parler, à embrasser sa femme, à ne plus se cacher. Il recommence à moins souffrir. Voilà la démonstration de la puissance d'un récit fait uniquement avec du papier, de l'encre, et d'agitations neuronales. La puissance des mots paisibles et de l'art littéraire réside là.
L'effet sur moi est aussi puissant qu'un film de cinéma, ce n'est pas le même ressenti, c'est du même ordre. Les images qui restent après la lecture cela forment le souvenir ou l'absence de souvenir. En lisant ce récit je veux qu'il s'en sorte, je veux le sauver de son état défiguré, je veux qu'il retrouve une normalité. En lisant je le vois allongé là, il souffre puis guérit lentement, très lentement.
Sa division en plusieurs personnages : Monsieur Lançon explique très bien comment son cerveau lutte pour continuer à vivre. Il y a d'un côté, le patient, lui qui doit après cette opération faire en sorte d'avoir de nouveau une bouche prête à mastiquer, parler, et embrasser. Ce personnage doit cicatriser et se concentrer d'abord là-dessus, au risque d' heurter la sensibilité de son amoureuse.
De l'autre, l'enfant, lui qui se sent comme un gamin dépendant. Ce personnage est placé à l'horizontale, avec sa chirurgienne qui lui parle et le regarde d'en haut. Chloé devient son dieu temporaire.
D'un autre côté il est le roi, il reçoit allongé, son frère, ses parents, ses autres proches, son ex. Pendant un temps ces visites lui sont vitales, par moment, c'est humain, il veut qu'ils s'en aillent, il veut que tout ceci ne soit qu'un cauchemar.
La bienveillance et l'efficacité des soignants : Pour l'auteur, tous les membres de l'équipe chirurgicale, deviennent pendant quelques mois, des sortes de dieux. Ils sont bienveillants, vous me direz c'est un minimum, ils sont efficaces. Les décisions sont prises en concertation. L'auteur doit retrouver son visage et une nouvelle bouche. Il doit sortir du monde des monstres.
Le choc cinématographique : L'attentat, comment il survient dans cette salle de réunion. Ils sont dans cette salle concentrés sur divers sujets. Ils dessinent. Ils blasphèment. Ils parlent entre eux de Monsieur Houellebecque. Ils font des blagues comme d'habitude. Monsieur Lançon vit cela, il survit à l'irruption meurtrière, il y a cinq ans ce sept janvier. L'irruption meurtrière crée un avant et un après. Monsieur Lançon donne l'impression d'une abstraction. Pourtant l'intrusion tue. L'irruption reste marquée à jamais dans la mémoire de Monsieur Lançon et dans nos mémoires.
Je me souviens, comme pour l'attaque des tours jumelles à New-York, de l'endroit exact où je me trouve au moment où j'apprends cette ruée mortelle expresse. L'irruption est un temps hyper court, un temps violent inadmissible condensé à l'extrême, puissant.
Les conseils artistiques et musicaux : Monsieur Lançon est un esthète, il sait ce qui est beau, il sait partager, au cours du récit il distille ce qu'il aime, ce qu'il aime moins. C'est toujours utile d'avoir les conseils de quelqu'un qui en sait plus que moi sur l'art. Il me donne un substrat de ces connaissances. Cette transmission me fait plaisir. Monsieur Lançon écoute
Jean-Sébastien Bach, il se rend au musée, c'est un homme cultivé, une partie de son récit me fait découvrir son intériorité culturelle.
Je sais un mieux comment il fonctionne, comment il pense le monde. Tout cela à distance, c'est une sorte de magie. Grâce à son goût pour l'art, il sympathise avec sa chirurgienne. Ensemble ils partagent leurs opinions et vont apprécier des représentations théâtrales en ville, dans Paris. Ils sont proches grâce à l'art. Par moment, c'est assez étrange, et bien que je ne sois pas journaliste, je m'aperçois que je pense comme lui, que mes points de vue sur l'art en général sont similaires au sien.
La division de son être : Monsieur Lançon se sépare. Son corps celui qui guérit, il s'occupe de retrouver une bouche normale pour manger, boire, parler. Son être professionnel doit se superposer par-dessus, pour qu'il puisse continuer à écrire et être journaliste. Son être social se réveil aussi, il prend plaisir à écouter les personnes qui lui rendent visite, sa compagne actuelle, ses parents, sa famille, son ex. Il prend plaisir à écouter leur récit, cela le raccroche au monde extérieur.
Le retour à l'enfance : Monsieur explique bien que son trauma le précipite vers un état infantile ou la dépendance s'introduit dans tous les gestes de son quotidien. Il endure aussi une inquiétude physiologique et matérielle permanente.
Ce n'est en aucun cas comparable, mais suite à un traumatisme violent, j'ai moi-même ressenti le besoin de retourner dormir auprès de ma mère, une nuit, de trouver ce besoin de protection. Ce besoin de protection réversible. La perte d'un être proche provoque des comportements infantiles, instinctifs, naturels. le trauma suite à un accident corporel très grave provoque une dépendance qu'il lui faut accepter puis dépasser.
La fuite de l'amour physique : L'auteur souffre trop pour ressentir de l'amour et faire ressentir à celle qu'il aime. Il continue à l'aimer, mais son esprit et son corps sont dédiés en totalité pour un moment assez long, aux nombreuses opérations, puis à sa guérison. Gabriela, sa compagne s'éloigne, l'attend. L'amour physique ne peut plus s'exprimer.
Le retour du désir respectif : C'est heureux, nos corps et nos esprits gardent en mémoire le plaisir qu'ils veulent de nouveau éprouver. Après quelques mois Gabriella et Philippe se retrouvent. Ils renaissent, en quelques sortes.
Philippe Lançon refait l'amour, il redevient, grâce à Gabriela, une seule personne.
Ses gardes du corps : Pendant quelques mois l'auteur est protégé, il sympathise avec toute cette bande dévouée à sauver sa vie. Un jour le service achevé, il prend fin, cela crée un vide, rien d'étonnant.
La construction des phrases, le texte en lui-même : J'ai constaté un mélange de deux styles, un réaliste, un métaphorique. Parfois le récit s'amplifie du style poétique. Ce mélange influence ce que j'écris en ce moment. Des phrases longues. Monsieur Lançon passe par plusieurs chemins pour exprimer une idée simple c'est charmant, parfois lourd. Par moment j'ai lâché de texte, pour reprendre mon souffle. J'appréhendais la scène de l'attentat, parce que ces choses violentes, font ressurgir des sentiments innommables au tréfonds de mon petit être. le récit comporte quelques lourdeurs, quelques longueurs. Elles sont vite oubliées parce que la densité des informations et des émotions à faire passer est énorme. Il y a trente pages en trop.
Si vous souhaitez vous fabriquer une onde de choc inoubliable et des sensations nouvelles, vous avez, vous aussi, en vous-même, l'empathie nécessaire pour ressentir, l'empathie c'est une hormone humaine naturelle, je la nomme comme telle librement, c'est un sentiment. Ce témoignage vous apprendra.
Peut-être, les êtres humains aux kalachnikovs, peut-être ceux qui portent ces armes pour tuer, ceux-là, ne possèdent pas ce sentiment d'empathie pour leur prochain. Ils ont supprimés l'amour en eux. Ce n'est plus une de leur composante.
Leur plaisir s'exprime autrement.
Si vous souhaitez vous rapprocher et entrer en partie dans l'âme de Monsieur Lançon, si vous souhaitez guérir avec lui, ce témoignage vous plaira.
Cet attentat est un évènement sur le chemin que trace la haine, il est une des conséquences de ce qui est contraire à l'amour. En parallèle d'un chemin amoureux, vertueux et constructif, un autre chemin voué à la dévastation et à la haine est née. Les deux chemins existent depuis la nuit des temps. Ces deux chemins sont suite d'évènements, ils sont thèse et antithèse, plaisir et déplaisir, parfois ils s'entrechoquent. C'est la synthèse. le déplaisir est frustre. C'est alors un désastre. le déplaisir se régénère toujours. Il profite de l'absence de plaisir. le déplaisir remplace l'amour que l'on éprouve naturellement pour son prochain par des armes et une frustration permanente.
Le déplaisir prend plaisir à détruire, à tuer les autres, il prend plaisir à se tuer lui-même.
J'écoute de la musique en lisant. C'est bon pour ma concentration. J'écris aussi sous musique. Pour la séquence de l'attentat, l'angoisse arrive, l'angoisse est palpable, j'écoute à ce moment la bande originale du film Eyes Wide Shut, de S.Kubrick.
Les deux images se superposent. Il y a paradoxe entre ce qu'exprime cette musique au moment de l'orgie de plaisir, et l'irruption des tueurs qui massacrent les hommes et les femmes sans défense. Pour Monsieur Lançon, ils sont deux jambes et un bruit assourdissant.
Monsieur Lançon me conseille pour d'excellent choix musicaux. Des choix de musique classique. Ainsi je découvre l'Art de la fugue de
Jean-Sébastien Bach, interprété par
Zhu Xiao Mei, au piano. Puis j'explore l'art du pianiste Italien Maurizio Pollini. du début à la fin de cette lecture savoureuse, mes choix vont vers d'autres musiciens talentueux. En parcourant ses lignes j'aime écouter le piano de
Didier Squiban puis le jazz éthiopien de Mulatu Astatke. Mon plaisir se décuple en écoutant un must, la mer de
Claude Debussy.
Je vous félicite Monsieur Lançon. A travers la lecture de votre excellent récit. Je me forge une conviction. Je comprends mieux la sorte de croyance à laquelle je suis attachée. Je suis polythéiste. Mes dieux sont incarnés. C'est leur création que j'admire. C'est elle qui ravit mes cinq sens. Je n'admire personne en tant que personne, je ne le veux pas, c'est juste ça. J'admire le travail, j'admire l'activité, j'admire la dévotion à la tâche.
Mes dieux sont le résultat du travail des artistes. Je ne sais si je peux les nommer dieux puisqu'ils sont concrets. Ils me sont nécessaires pour donner sens, il m'aide à continuer à croire. J'apprécie, les gens de lettres, ceux qui écrivent, les musiciens et les peintres, les danseurs et danseuses, les acteurs, les actrices, les humoristes, les sportifs. Tous à leur façon décuplent le monde. Tous par leurs oeuvres laissent des traces ineffaçables sur mon âme. Mon âme, en redemande sans cesse. Une force bienfaitrice se situe au-dessus de tout ça, cette force anime tout ça, elle l'anime d'en haut, cette force, cette énergie, cette volonté, éclot sans cesse. A vous de voir si l'art vous fait cet effet-là. Pour moi c'est le cas. L'art, la création m'absorbe.
Question : A notre époque, le chirurgien devient-il une sorte de dieu ?
Monsieur Lançon, je vous remercie de m'offrir ce récit époustouflant de sincérité. Derrière moi, cette histoire devient un voyage que je n'oublierais jamais.