Blade Runner, un titre de film qui fait toujours rêver. Pour ceux qui l'ont vu, les premières images avec cette arrivée sur une ville sombre et les flammes qui se dressent dans le ciel restent à jamais accompagnée par la musique de Vangelis. Mais aussi les traits de ces réplicants, pourchassés par un
Harrison Ford au visage impassible. Si vivants que l'on peine à imaginer leur côté artificiel. Et pourtant, ce sont des androïdes. Comme le rappelle le titre original du roman de
Philip K. Dick
publié en 1968 d'où est tiré le film : Do Androids Dream of Electric Sheep? C'est à travers leur exemple que
Frédéric Landragin, directeur de recherche au CNRS, s'interroge sur les capacités des êtres artificiels à ressentir des émotions, de l'amour.
Décidément
Frédéric Landragin s'intéresse beaucoup à l'autre. Voilà plusieurs ouvrages qu'il utilise la science-fiction comme base pour ses réflexions sur d'autres formes d'existence et nos liens avec elles : les aliens (
Comment parler à un alien ? Langage et linguistique dans la science-fiction aux éditions du Bélial' en 2018 ou
L'art et la science dans Alien aux éditions La Ville Brûle en 2019, en collaboration avec
Roland Lehoucq,
Christopher Robinson &
Jean-Sébastien Steyer) ou les robots (
Comment parle un robot ? Les machines à langage dans la science-fiction toujours au Bélial' en 2020). Dans cet essai qui vient de paraître dans la jeune collection « Les imaginaires de la science » aux éditions Dunod, il présente un état des lieux de la recherche sur les robots et leurs capacités à ressentir des émotions. Avec un sommaire très abordable, utilisant chaque personnage du film comme modèle : Léon pour les émotions, Zhora pour l'intelligence, Pris pour les facultés de manipulation, Rachel pour la mémoire affective et Roy pour l'empathie. Tous ces points permettant de différencier un humain d'un andoïde.
Dans ce court essai,
Frédéric Landragin s'interroge sur ce que sont les émotions et comment on peut les mesurer. Afin de permettre aux machines de les reproduire peut-être un jour. Car, ce qu'on découvre avant tout dans ce livre, c'est les I.A. et les robots ont beau avoir connu d'immenses progrès depuis des années, il leur reste encore un gouffre avant d'accéder à ce pan propre aux êtres vivants (je ne dis pas aux humains, car certains animaux seraient susceptibles d'en ressentir : je ne connais pas suffisamment le sujet pour aller plus loin ni me prononcer). Alors bien sûr, les androïdes de Blade Runner, eux, semblent ressentir des émotions. Pas toutes, puisque seul Roy paraît faire preuve réellement d'empathie (que l'on pense à sa larme et au fait qu'il sauve Deckard à la fin). Par contre les robots en sont totalement dépourvus. Ils peuvent les mimer, mais pas les ressentir. Ils sont capables, de plus en plus, de lire les émotions des humains dont ils s'occupent (qu'on pense aux robots utilisés dans les hôpitaux japonais, et réagir en conséquence). Mais c'est une commande programmée : « Cette émotion est simulée et non ressentie. C'est pourquoi qualifier un robot « d'empathique émotionnellement » est problématique. » On touche là l'essentiel du problème. Avant qu'un être artificiel ne puisse aimer un humain, il coulera beaucoup d'eau sous les ponts. Il nous faudra parvenir à définir et programmer tout cela, laisser vivre les machines et attendre qu'elles apprennent. Et encore. Car malgré le deep learning tellement utilisé actuellement et autres progrès, tout cela n'aboutit pas à un androïde qui ressent des émotions. « Nao, Pepper, Asimo, Sophia demeurent limités à cette interactivité basique, il serait prématuré de les qualifier de robots de compagnie. » Ils se contentent de suivre des scripts, de plus en plus perfectionnés, mais encore loin de l'IA collaborative. Il reste encore de nombreux pas à franchir avant qu'un Midjourney soit capable d'analyser et d'apprécier son propre travail. Et de nous en parler.
Dans cet essai court et très abordable,
Frédéric Landragin fait le point sur l'état actuel de la recherche sur une figure classique des récits de SF. J'en ai parlé récemment à la suite de ma lecture du très original
Après tout de
Ian Soliane : ce personnage artificiel qui sert à pallier certains manques de l'être humain est source de réflexion et de scénarios passionnants. Que les androïdes soient des sortes d'esclaves sexuels, comme dans « La Guerre est finie » une nouvelle de
Chi Ta-Wei parue dans son recueil
Perles ou la copie de l'être aimé et dorénavant disparu comme dans la novella de
Ian Soliane, ils tiennent une place gigantesque auprès de nous. Mais, comme l'explique très clairement
Frédéric Landragin, tout cela reste encore, et sans doute pour quelques temps, de l'ordre du récit d'anticipation.
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