Rattawut Lapcharoensap publie le recueil «
Café Lovely » en 2005. Malgré les presque 20 années écoulées depuis sa parution, il m'a semblé que chacune des nouvelles de ce recueil était toujours d'actualité tant les situations racontées et les sentiments exprimés étaient vifs.
L'auteur nous propose ici un voyage en Thaïlande, mais attention, nous sommes loin de la Thaïlande aux plages de sable blanc, à la mer transparente et aux fêtes excessives. Rien de tout cela. Nous voilà au plus près d'hommes et de femmes, des jeunes et de moins jeunes, de thaïs et d'étrangers qui portent tous leurs expériences, leurs déceptions, leurs peurs, leurs opinions et leurs espoirs dans une société qui parfois les désole et les trahit mais qui représente tout ce qu'il connaisse et tout ce qu'il leur reste.
Le recueil s'ouvre sur «Farangs», qui pose un regard ironique sur les étrangers occidentaux, leurs comportements sans gêne, leurs biquinis insupportables, et leur sentiment de supériorité face à une population qu'ils considèrent souvent comme de culture inférieure. L'impact de ces farangs sur le pays est aussi évoqué, là encore avec une raillerie mêlée de tristesse.
Dans «
Café Lovely », nous voilà avec deux frères dont la mère n'arrive pas à se relever de la mort de leur père, à la suite d'un malheureux accident pour lequel aucune réparation ne sera accordée. le petit-frère, désireux de suivre son grand-frère, se retrouve avec celui-ci au
Café Lovely, lieu de prostitution et de débauche.
La « Loterie » montre un bel exemple de corruption dans une société qui aime les riches au détriment des pauvres. Alors que la loterie devant désigner les jeunes qui iront au service militaire est supposée relever du hasard, c'est évidemment le pouvoir qui l'emporte sur le respect, l'amitié et toute forme de morale.
« Tour au Paradis » raconte la relation entre un fils et sa mère, en train de perdre la vue. Elle qui a toujours tout donné pour subvenir aux besoins de son fils jusqu'à mettre sa santé en péril décide de partir voir de ses propres yeux, tant que c'est encore possible, un bout de paradis.
« Pricillia la Cambodgienne » est la rencontre entre deux garçons thaïs et Priscillia, jeune réfugiée Cambodgienne. Alors que l'amitié naissante permet d'effacer les craintes des enfants, le reste de la société animalise ces réfugiés fuyant pourtant la mort et la peur les poussera à commettre un acte odieux.
« Je ne veux pas mourir ici » met en scène un vieil Américain contraint d'habiter chez son fils, expatrié en Thaïlande. Il ne s'y plait pas, il hait sa situation, cette langue, ce pays et sa Floride lui manque désespérément. Il se croit loin de tout et en particulier de son enfant, qu'il ne reconnait plus. Pourtant, le regard qu'il porte sur sa condition change petit à petit.
Enfin « Combats de Coq », la nouvelle la plus longue et la plus éprouvante émotionnellement nous dit l'horreur dont les hommes sont capables lorsque plus personne n'est là pour les remettre à leur place, qu'ils ont l'argent, la police, et donc le pouvoir dans leur poche. Et tout ça pour quoi ? Jusqu'où aller pour prouver son orgueil, sa vaillance. La narratrice et le témoin de la chute de son père dans un abîme sans fin. Elle est aussi témoin de ce que peut sauver l'amour, dernier rempart à la cruauté.
Rattawut Lapcharoensap dit les sentiments des différents personnages avec beaucoup de délicatesse, de l'humour et beaucoup de justesse. L'écriture, très souvent directe, est dans le réel sans se départir d'un peu de poésie dans l'amour qui lie les parents aux enfants. La ténacité comme les faiblesses de chaque individu a quelque chose de touchant que j'ai énormément apprécié. L'ensemble de nos cinq sens est mis à contribution dans la lecture de ces nouvelles, ce qui ajoute au plaisir de lire ces textes que l'on sent puissants par leur réalisme et la variété des sentiments qu'ils réussissent à transmettre.