Deux narrations se mêlent dans un espace-temps qui s'étire de 1792 à nos jours, de la Bretagne du 18ème siècle au Nice des années cinquante en passant par l'Ile Maurice et la Malaisie.
Vieille et aveugle, Catherine, la grand-tante de Jean vit seule dans un appartement niçois, au dernier étage de l'immeuble La Kataviva, souvenir d'un nom russe, entre ses meubles dont elle connaît parfaitement les contours et son “ secret ”: un album-photos hors d'âge et un vieux cahier où le fondateur de lignée à Maurice, Jean-Eudes Marro raconte son histoire, des horreurs de la bataille de l'Argonne en 1792 à son exil à Maurice avec sa jeune femme Marie-Anne et leur bébé. La maison nommée Rozilis, en souvenir du bateau breton qui les a amenés, devient mythique, avec les colonnades de la varangue, son ravenala, arbre en forme d'éventail (l' ”arbre du voyageur ”) ramené de Madagascar et arraché lors de leur départ en 1915, indissociable avec la mort du fils Simon en France dans les tranchées et du grand-père Charles , un mois après, lien mystérieux qui unit les êtres, humains et végétaux.
Plus que les récits de guerre, aussi cruels ou enthousiastes soient-ils, on est sensible à la douceur de cet appartement du souvenir, à la longue interrogation du jeune Jean à sa grand-tante dans un “ Raconte ” insatiable. Et on se prend à rêver à tous les “ Raconte ” qu'on a dits, pas assez pourtant, aux vieillards de notre famille.
Jean, héritier de la terre de Bretagne comme de celle de Maurice mène une quête longue et difficile sur fond de guerre d'Algérie (il tient un relevé quotidien des morts et exécutés), sur fond de films des années 50-60 avec James Dean, au son des chansons de Mariano et de
François Deguelt. Il va vivre des amours fugaces avant Mariam, celle qui le décidera finalement à devenir un mari. Nous le suivons au long de cette construction d'une vie d'homme, attachant, sincère, généreux, entre Londres et Mexico, ému par les Indios maltraités au Mexique, témoin de leur mouvements durement réprimés en 1968 avant les JO. Jean, héritier de deux terres, se lance dans la recherche des terres bretonnes de ses ancêtres, dans celle des horizons mauriciens, entre forêts et montagnes, là où des hommes d'affaires ont sacrifié la forêt pour la culture de la canne à sucre, dévastatrice pour l'écosystème, pour la production massive de bois précieux, fortune vite faite, paysages vite dénaturés, populations vite rejetées vers d'autre lieux. le capitalisme furieux du début du XXème siècle.
On se perd un peu quand
Le Clézio fait intervenir une jeune Mozambicaine arrachée à sa terre par les esclavagistes pour l'amener à Maurice, au milieu de centaines d'autres Africains, puis quand Jean retourne dans le Morbihan à la recherche de l'Histoire, 1488, guerre entre Français et Bretons soutenus par les Anglais pour le rattachement de la Bretagne à la France, l'une des toutes premières provinces du royaume de France. On passe de la mélopée douce du griot au manuel d'Histoire.
Mais tous les ruisseaux se rejoignent au final dans un continuum, au fil des générations, pour recomposer l'histoire de la famille. “ Raconte ”, “ Raconte encore ”, ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes, héritiers de tous ces gens, de tous ces parcours, de tous ces chagrins et de tous ces espoirs. Raconte...