Dans ce premier volume du cycle,
Ursula K. le Guin installe un monde maritime, constitué d'îles vraiment très nombreuses et de civilisations assez différentes. C'est un monde où cohabitent dragons et humains, où certains hommes pratiquent la magie et quelques femmes la sorcellerie des campagnes, où l'on rencontre pirates et prêtresses, où les rois sont déchus et où les dieux sont peut-être
morts.
Moi qui ne suis plus trop attirée par les univers de fantasy, j'avoue avoir été totalement conquise par l'univers instauré par
Ursula K. le Guin. J'avais déjà lu, dévoré et adoré
L'autre côté du rêve, un "one shot" sur les réalités parallèles très bien mené, mais je n'étais pas rentrée dans
les Dépossédés, faute, sûrement, de n'avoir pas commencé au tout début du cycle. La nouvelle de sa
mort m'avait donc servi de piqûre de rappel, et je me devais de replonger dans l'oeuvre d'une figure importante de la littérature imaginaire.
Le monde de
Terremer est dépeint au fur et à mesure des épopées de l'Épervier, et on y rentre assez facilement, par le biais de la mythologie, des coutumes, des paysages et des personnages qui deviennent vite familiers. La lecture n'est jamais rendue laborieuse par les descriptions, on s'y glisse comme on rentre dans l'eau. Tout au long des trois tomes, on suit le même chemin initiatique et presque chevaleresque du mage et de ses compagnons d'aventure, comme se doit de le faire un bon roman de fantasy, avec ses leçons de vie, ses missions, ses paroles sages et ses cicatrices.
Mais le plus important reste ici la question de la magie et de la séparation homme/femme - un thème fortement marqué qui sera développé tout le long du cycle et qui évoluera en même temps. La sorcellerie est commune aux deux genres mais n'est pas entourée du même aura : d'un côté la connaissance, le langage sacré et la maîtrise de tout ce qui est, de l'autre le bouche-à-oreille, les potions et les petits sorts de bidouillage. On y sent clairement la séparation à peine voilée du clergé et des femmes sorcières du Moyen Âge, bien que celles-ci ne soient chassées que de l'île des mages mais par ailleurs très importantes dans leurs villages.
Et enfin, bien sûr, tout tourne autour de l'Équilibre, très fragile, du monde, qui est respecté dans l'ordre naturel mais qui peut être bouleversé à tout moment par l'action des hommes. En ce sens, le cycle de
Terremer appuie beaucoup sur la responsabilité, la morale, la question du Bien et du Mal avec de grandes majuscules, les conséquences, mais aussi la Vie et la
Mort. Les héros et héroïnes se retrouvent tou•te•s confronté•e•s à leur part d'ombre, à leurs ennemis, à leurs peurs les plus tenaces, et apprennent à se mettre au service de toute la communauté.
En bref,
Ursula K. le Guin tient ici la recette parfaite d'un bon livre de fantasy, et fait preuve d'une plume fluide, équilibrée, ni trop sérieuse et moralisatrice ni trop mièvre ou cliché, tout en l'étant quand même un peu tout du long (ce qui est souvent propre à la Fantasy,
Pratchett non inclus). Elle s'attarde assez sur la psychologie et les émotions pour que l'on puisse s'identifier facilement, et se rendre compte qu'un héros c'est aussi parfois quelqu'un qui est parti du mauvais pied, qui s'en est pris plein la gueule, jusqu'à devenir quelqu'un de décent, voire d'extraordinaire. C'est peu dire qu'elle installe une ambiance qui vous prend à 100% puisque j'ai fini par courir acheter les autres volumes et les ai dévorés les uns à la suite des autres - alors même que ce n'est pas tellement ma tasse de thé (enfin, au fond, les dragons ne sont finalement que des dinosaures ailés cracheurs de feu). Les quelques défauts que j'ai pu trouver au début se sont avérés au final une réelle réflexion, analyse et critique tout au long du cycle, alors je n'en parlerai pas plus.
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