À l’âge de trente-cinq ans, François Dumouchel, employé à la mairie de Rouen, bureau des décès, résolut d’épouser Mlle Berthe Chemin, fille d’un officier mort peu d’années auparavant. Le père Chemin, capitaine-trésorier, « ce bout de Chemin », comme l’appelaient les soldats à cause de l’exiguïté de sa taille, s’était tué au moment où certaines erreurs, commises par lui dans sa gestion, allaient devenir publiques.
Dumouchel ignorait ce détail. Fils d’épicier, il jugea que son entrée dans la famille d’un militaire lui attirerait une considération appréciable, malgré l’absence de dot de la jeune fille. Il ne manqua pas de faire valoir son désintéressement.
— Mon père m’a laissé 2 200 francs de revenu, déclara-t-il à Mlle Roussel, une tante âgée qui avait recueilli Berthe ; en outre, mes émoluments se montent à 1 800 francs. C’est peu, mais enfin c’est assez pour que je me permette de me marier à ma guise.
Tout au plus prit-il des renseignements précis sur la fortune de la vieille demoiselle et sur l’état précaire de sa santé.
Le ménage Dumouchel loua, cité Jeanne d’Arc, un peu en dehors de la ville, une petite maison pourvue d’un lambeau de jardin.
Là ils entamèrent une longue série d’années tranquilles et uniformes. François, gros homme apoplectique, au visage bouffi, aux yeux éteints, à la barbe rare et poussant par places comme du gazon mal semé, avait une nature molle, sujette à des colères violentes. Berthe, de tempérament plus nerveux, de race moins grossière, attirait les regards par sa taille souple, une jolie bouche ornée de dents blanches, et un vilain nez de dimensions trop fortes.
La jeunesse d'Arsène Lupin Cagliostro