Citations sur Le petit prince cannibale (72)
Nous sommes à une époque d’incessants bavardages, de stériles jacasseries. Dès le jardin d’enfants, la pression est très forte. Un enfant qui parle tôt, au regard des gens et des institutions, est intelligent. Un enfant qui se tait indispose.
J’avançais avec la force de ceux qui savent tirer des traîneaux, corsage ouvert sur le givre, le froid planté comme une lame dans les gencives. Rien ne m’importait que d’avancer. Le ciel était bleu. La cime de cristal des sapins le transperçait comme le cri d’un alléluia. La neige tombait sur mes épaules. En me touchant, elle me bénissait. D’ailleurs, tout me bénissait. Je me sentais bénie.
"Car parler c'est être mal compris. C'est être déjà trahi."
On entend très vite s’élever le choeur des réducteurs d’amour. On est à peine autorisée à prendre le nouveau-né dans ses bras. Il faut presque se cacher pour le tenir contre soi. Ils disent qu’on ne doit pas s’en occuper dès qu’il pleure, cela risque de le rendre capricieux. Il ne faut pas le caresser ni lui offrir à téter chaque fois qu’il le demande. Il ne faut pas lui donner de mauvaises habitudes. Ils disent aussi qu’il faut le laisser pleurer. L’isoler. Ne pas prêter attention à ses cris. Ils disent enfin qu’il faut l’installer dans la chambre tout au fond du couloir. Le plus loin possible et que cela lui apprendra à vivre.
Tout dans notre société est fait pour brutaliser le sentiment maternel. Le dénigrer. Tout est fait pour qu’on se retrouve dépossédée. Les mains vides. Il faut oser aimer le tout petit enfant et oser le dire.
Quelle est cette douceur de miel où baignent mes dents et mes gencives ? Je la reconnais. C’est la tendresse. Chaude. Inondante. Seconde où les génocides s’arrêtent. Où le ventre est un globe. Et l’on marche contre les autres. Tous les autres. Car, si on ne décide pas, seule, qu’on est la Reine du Monde quand on attend un enfant, personne, jamais, ne vous le dira. Personne ne vous célébrera. Et si aucun homme ne pose son oreille sur votre ventre, il faut chercher dans cette longue nuit une sorte de baiser cosmique.
"Au fond, je n'ai jamais aimé la liberté, sans doute parce que je crois qu'on soit jamais libre. Avec les enfants, je me serai donné beaucoup de contraintes. Mais j'ai l'impression d'avoir choisi. C'est peut-être cela la liberté : choisir ses contraintes."
Le plus merveilleux, c’est de t’allaiter adossée contre un arbre. Sentir ce jaillissement qui s’en va te fortifier. Le plus fabuleux c’est d’être un corps à manger, un corps nourrissant. Cette fuite du lait vers ta bouche adorable et vorace, c’est aussi la fuite du temps. Alors, je reste là, en pleine détresse, en pleine lumière, sachant bien que c’est aujourd’hui, l’éternité.
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J'ai souvent été agressée ou totalement ignorée par des gens aigris. Ce sont les mêmes qui ne se réjouissent jamais. Ni d'une naissance. Ni d'un bonheur qui vous arrive. Ni des progrès d'un enfant autiste.
Je suis prisonnière des vieilles maisons, des forêts, de la nuit, des eaux dormantes, des nouveaux-nés au fond de leurs berceaux. D’eux surtout. J’userai ma vie, penchée au-dessus des berceaux. Je perdrais mes yeux à trop regarder mon nouveau-né dormant dans son odeur légère d’étable et de lait.
Dans tes yeux, une confiance éperdue.
Je sais que cette seconde, je l'emporterai pour toujours.
La qualité de ton regard efface toutes mes peines.
J'ai beaucoup de forces encore et tu entends,
pas une secvonde je ne te lâcherai la main.