Maelström d'entre-deux-guerres (1927-1933)
Les Lilas et les roses
Bouquets du premier jour lilas lilas des Flandres
Douceur de l'ombre dont la mort farde les joues
Et vous bouquets de la retraite roses tendres
Couleur de l'incendie au loin roses d'Anjou
Louis Aragon,
le Crève-coeur, 1941
« Elle n'était plus qu'une boule de rancune, animée par une vengeance froide. Inhumaine. » (p. 483). Après la mort en 1927 de son père, le banquier Marcel PÉRICOURT, personnage central de la vie financière du pays, rien, absolument rien - sauf peut-être la condamnation de son mari jeté en prison pour escroqueries dans le premier volume
Au revoir, là-haut - n'avait préparé Madeleine Péricourt, héroïne de Couleur de l'incendie, à affronter le maelström des trahisons, désastres financiers et naufrage de sa propre vie.
Pur produit de la haute bourgeoisie des années trente, éduquée pour être destinée au mariage, son père « même s'il l'avait beaucoup aimée, l'avait élevée dans l'idée que pour les grandes choses, elle ne sera jamais à la hauteur. Perdre la fortune qu'il lui avait léguée confirma ce jugement ». Après les orages de la Grande guerre, livrée aux grands fauves de la jungle sociale de l'entre-deux-guerres - « Non, vous avez perdu votre fortune en même temps que je constituais la mienne, c'est tout à fait différent » lui assènera cyniquement Charles Joubert, fondé de pouvoir de sa banque, qui l'a trahie - Madeleine, victime de la manipulation de cours boursiers, va connaître la spirale de la déchéance, la ruine de la maison Péricourt. Mais animée d'une froide détermination, elle se forgera les armes d'une cruelle loi du talion avec nombre de personnages comme instruments de son implacable vengeance.
Au moment de la montée des totalitarismes dans l'Europe des années 30,
Pierre Lemaitre dresse le portrait à charge, tout jubilatoire, de l'impudence d'une bourgeoisie balzacienne ou flaubertienne menée par l'argent, l'ambition, l'appât du gain, jalousies, pulsions sexuelles et corruption. Et la galerie des portraits, cinglante, n'échappe pas à la règle. « Hortense avait tenue à être présente auprès de son époux. Cette femme brève de seins, de fesses et d'esprit considérait Charles comme un être prodigieux. », leur filles « souriaient de toutes leurs fausses dents, les joues et la poitrine creuses, les genoux maigres. Excitées par la venue de ce prétendant, palpitantes comme des volailles, elle laissaient s'échapper de leurs lèvres entrouvertes des petits rires étranglés qui trahissaient un désir sexuel rendu obscène par l'incroyable ressemblance qui dupliquait leur laideur ».
Sous le vernis des bonnes manières et de la politesse, une société qui ressemble terriblement à la nôtre, évasion fiscale encouragée par le secret bancaire et l'impunité des banques suisses, dette qui se creuse, impôts tenus pour confiscatoires, « Personne n'avait eu le courage de prendre les mesures contre les pesanteurs françaises », journalistes à la solde, Guillotaux, propriétaire du Soir de Paris qui répond à l'accusation « Vous publiez sciemment des informations mensongères. » « Pas mensongères, là vous allez trop loin, non présentons la réalité sous un certain jour, voilà tout. »
D'une facture toute classique dans la veine des grands romans tourne-pages de la grande comédie humaine, ce livre au confluent de nombre d'influences - en deux parties d'inégale valeur, chute et vengeance, nous en préférons la première - est d'un très bon artisan connaissant l'art du récit, dialogues, discours, descriptions, adresses au lecteur, qui a voulu ici rendre hommage à « son maître Dumas » - en l'occurrence celui du Comte de Monte-Cristo - et qui reconnaît modestement sa dette envers les autres grands de la littérature, « Au cours de ce travail, j'ai souvent été visité par des choses qui venaient d'ailleurs, rien de ce qu'on écrit ne nous appartient réellement. ». A lire.