Une poésie du deuil : ainsi devons-nous qualifier ce nouveau recueil de
Patrick Lepetit. Dédié à un ami décédé, "
Beauté du funambule" s'ouvre par une citation programmatique de
Nietzsche : "Viens, compagnon rigide et glacé ! Je te porte à l'endroit où je vais t'enterrer de mes mains". S'ensuivent quarante pages de vers libres, comme autant de fragments d'un discours douloureux. Souhaitant se relever encore, l'auteur nage dans une "comédie noire", car rien ne peut prémunir du désespoir, de la mélancolie. le monde extérieur devient farandoles futiles, et aucune sagesse, aucun système, ne semble atténuer ce sentiment d'absurdité, de vanité. Élément lumineux, traditionnellement heureux, "le soleil en gloire n'éclaire plus guère que la kermesse des chairs" (p. 29).
"Hadès" (p. 16), dieu des Enfers, a triomphé. Que faire, dès lors, puisque les cieux sont vides, sinon s'en remettre au verbe ? Tel Orphée, P. Lepetit magnifie la perte en chantant, et nous emporte doublement, par sa culture et par son lyrisme. Les références érudites surgissent au fil des pages, tels des clins d'oeil donnés aux grands aînés, dont la présence a l'effet d'un baume. Normalien, l'auteur maîtrise parfaitement ses classiques, et instille son savoir, ses références, sans pour autant tomber dans la pédanterie, le tic livresque. Ainsi la citation est-elle subtilement intégrée dans la phrase, à l'instar de cette allusion à la fameuse main de gloire (mandragore),
De Nerval : "Le sable ici est rude/main de gloire/l'azur au soir sanglant comme attente" (p. 33). Cette allégorie solaire se trouve filée ensuite à travers une reprise d'
Apollinaire, en l'occurrence du dernier vers de « Zone »: "Soleil cou coupé". le lyrisme, lui, est omniprésent, au détour de chaque phrase, cet ensemble formant la plaintive élégie, soit, étymologiquement, chant de mort (en grec ancien ἐλεγεία / elegeía, signifiant littéralement « chant de mort »). Riche, mais également sobre, la poésie de P. Lepetit procède par touches. Comme si évoquer l'affliction, la perte, ne pouvait passer que par la simplicité, la pudeur du verbe. Comme si marcher au-dessus des gouffres, en funambule, exigeait l'ascèse, la pureté du mot. Cet art du peu, cet arte povera, n'est pas sans rappeler le haïku : "Arpenter l'obscurité/à la lueur rouge des braises,/la mémoire morte,/errer en douleur/ sous l'insensé/dans l'impensable". (p. 26). Orné d'une toile du surréaliste néerlandais Rik Lina, ce nouvel opuscule, sombre et lumineux, est une nouvelle fois publié par
Paul Sanda, aux éditions « Rafaël de Surtis ».
(Critique d'
Etienne Ruhaud parue dans "Diérèse").
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