Lecture dans le cadre du Chalenge Nobel 2013/2014.
Bien avant que l'auteur ne décède (hier...), je l'avais placée sur ma liste de lectures. Cela dit, j'ai ensuite fait mon choix -en partie, du moins- à l'épaisseur de ses productions. Ce n'est pas bien, mais c'est aussi un critère de choix.
Epaisseur de livre, mais pas seulement. Car le sujet m'intéresse, pour des raisons personnelles en partie.
Le début est d'une noirceur incroyable, déjà. le portrait d'Harriet et de David n'est pas complaisant. Les parents, beaux-parents... sont également dépeints via leurs côtés négatifs plutôt que par leur qualité. Même la maison, source de bonheur ou la première procréation laissent un goût amer au lecteur.
Au-delà de cela, il y a le style, assez complexe au début, fait de phrases imbriquées et à rallonge, l'auteure utilisant abondamment la virgule davantage que le point. Cela produit des phrases, longues, pleines de nuances, qu'il faut savoir décrypter parfois. Soit je m'y suis habitué, soit cela se simplifie au bout de quelques dizaines de pages, toujours est-il que la lecture se fait captivante une fois le décor familial posé.
Car l'arrivée de Ben est un grand moment de cynisme et de réalisme. J'ai peu pensé à Frankenstein (même si la seconde partie du roman et la fin sont plus explicites sur la monstruosité), j'ai davantage pensé à
Véronique Olmi et
Bord de Mer. Pour le réalisme, froid et direct, quasi clinique. D'ailleurs, la scène de l'hôpital est incroyable. Elle sent (presque) le vécu.
Ce qui est assez bluffant, c'est l'éternel va-et-vient que
Doris Lessing impose au lecteur entre réalisme et fantastique. Elle se joue parfois (souvent même) du lecteur en alternant ces deux facettes. Une fois, on se dit que Ben est normal et qu'on le voit à travers le jugement social, familial porté sur lui. Une autre fois, on adhère à cette idée qu'il n'est pas vraiment humain. C'est brillant. il y a là un réel talent à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Et alors, comme dirait Pierre Dac, nous nous brûlons au feu attisé par
Doris Lessing, qui a réussi à nous mystifier.
Certaines parties sont réellement accrocheuses, prenantes. Mais l'ensemble manque d'homogénéité. Tout est centré sur le rapport mère/fils, les autres enfants passent vité à la trappe et seule Dorothy (encore un rapport mère/fille) est décrite avec plus de détails.
La fin (pas de spoiler) en Orange Mécanique parachève l'impression de manque d'homogénéité. Et les dernières lignes ressemblent furieusement à l'échappatoire d'un auteur qui n'a pas trouvé de fin (ni happy, ni triste/réaliste) qui convienne. A force de ne vouloir traiter que le rapport entre Harriet et Ben,
Doris Lessing ampute le récit de toute une série d'éléments qui auraient pu contribuer à l'amplifier. Cette fin est quand même résolument optimiste et tout à fait non crédible compte tenu de la direction que prenait le récit au départ.
On notera enfin qu'un seul personnage semble avoir les faveurs et la clémence, la tendresse de l'auteure (ne serait-ce justement que par la fin ouverte), c'est Ben. Lui seul ne voit pas ses travers moraux exposés à longueur de pages, et n'est pas jugé et ni démoli par l'auteure. Perturbant.