Savoureux, délicieusement cynique, terriblement humain...
Nous sommes aux États-Unis. J'ai tout d'abord fait la connaissance de cet homme ordinaire,
Jim Smith, soixante ans, chauffeur Uber... Au moment où je fais sa connaissance, il est en consultation chez son médecin généraliste. Ça ne va pas fort, Jim déprime, il a la sensation que tout va de plus en plus mal. Non pas dans sa vie, Jim mène une vie tranquille, paisible, vivant seul dans son appartement, la solitude lui va même très bien et il ne souhaite surtout pas qu'on vienne le déranger. Non c'est le monde autour de lui qui est déglingué. La planète est surpeuplée, les océans se vident de leurs poissons, l'Amazonie part en flammes, c'est la fonte des neiges de l'Himalaya et du Kilimandjaro. Les fleuves s'assèchent. Tandis que
Jim Smith se livre, le médecin pense déjà au patient suivant, une femme avenante de quarante ans pleine de gaîté avec laquelle il avait commencé de plaisanter dans la salle d'attente...
Le médecin griffonne vite les coordonnées d'un confrère psychiatre sur un bout de papier que
Jim Smith transformera en boulette quelques instants plus tard pour la jeter par la fenêtre de sa Chevrolet Malibu 2015. Tout est dit déjà dans cette scène fondatrice que j'ai trouvée jubilatoire par son ton décalé.
Puis il regagne son appartement. Il ne veut surtout pas qu'on le dérange, il veut qu'on lui fiche la paix, avoir affaire le moins possible à son prochain, voire pas du tout...
Mince ! Ça tombe mal...
Oui, car c'est sans compter sur cette nouvelle voisine qui vient d'aménager dans l'appartement donnant sur le même palier, une jeune femme prénommée Corina, flanquée d'un mari militaire un peu énervé sur les bords et d'un fils de quatre ans...
Tout commence à se dérégler, - du moins pour
Jim Smith, lorsque la jeune femme lui adresse un jour la parole sur le palier, tandis que le mari, tireur d'élite surdoué dans son art est reparti en mission spéciale en Afghanistan... Alors, pour
Jim Smith, c'est brusquement comme un grain de sable dans les rouages bien huilés de sa vie solitaire et monotone. Et quand la jeune femme récidive, - oui pour
Jim Smith c'est une interprétation alors que pour la jeune femme un peu perdue dans une sorte de nouvelle existence voisiner est une manière de se rassurer un peu -, alors pour
Jim Smith,
Un voisin trop discret, c'est brusquement comme un séisme, son quota de relations sociales est en train d'exploser...
À partir de ces deux scènes qui ressemblent aux rivages d'un long fleuve tranquille, vous vous demandez déjà, en baillant poliment, vers quelles mornes plaines je vous entraîne. Eh bien ! Méfiez-vous de l'eau qui dort. Passé ces pages introductives, un certain
Iain Levison, auteur américain d'origine écossaise, m'a arraché à ma torpeur ambiante, m'a saisi par le col de ma chemise et ne m'a plus lâché jusqu'à la dernière page. Impossible d'abandonner ma lecture jusqu'au dénouement final. Et quelle conclusion ! Chapeau, l'artiste !
Comment qualifier ce roman ?
Décapant, c'est le premier adjectif qui me vient à l'esprit.
Puis viennent d'autres adjectifs ; drôle, cynique, délicieux...
Tout y est, avec plusieurs manières de regarder cette histoires, des entrelacements d'histoires, des personnages dont le destin se joue presque au même instant, un magnifique effet papillon entre le Texas, Dubaï et l'Afghanistan, vous aurez même en prime un roman doté d'une intrigue policière qui tient bien formidablement la route. Ici, je vous préviens d'avance, les histoires des uns et des autres finissent toujours par s'entrecroiser et il se pourrait bien que l'onde de choc du tir d'un M-107, visant un terroriste au fin fond de la campagne d'Afghanistan, finisse par se répercuter jusqu'aux États-Unis, jusqu'à la tranquillité d'un immeuble d'un quartier ordinaire où les seuls bruits sont les rires d'enfants dans le parc qui jouxte le bâtiment.
C'est un court roman d'une incroyable richesse qui jongle avec les coups de théâtre et un humour que j'ai trouvé délicieusement salvateur.
C'est une sorte de tragi-comédie de haute voltige.
Iain Levison a un sens aigu de la satire, une ironie au vitriol, mais tempérée par une formidable humanité.
Du suspens, des quiproquos, de la gaucherie et au final il en ressort un coup pendable finement orchestré.
Tout est savamment dosé, juste ce qu'il faut. Rien de lourd, tout en finesse,
Iain Levison est une sorte d'orfèvre en la matière.
Je l'ai lu ce roman d'une traite, durant l'après-midi de dimanche dernier, je me souviens dehors la tempête sévissait, je voyais passer devant la baie vitrée des bourrasques, des branches d'arbres, des fils électriques, des ardoises, des morceaux de cheminée, des parapluies, des brouettes facétieuses, des kilts écossais qui se soulevaient effrontément, des chats affolés rincés dans des tornades infernales, tout cela m'indifférait brusquement. Seul comptait
Un voisin trop discret. Et j'avais envie brusquement de lui ressembler, c'est-à-dire qu'on me fiche la paix pour me laisser dévorer cette lecture furieusement addictive qui me faisait grand bien. J'ai baissé le store et j'ai poursuivi ma lecture...
À force de vouloir être discret, ne finit-on pas par se faire remarquer ?
C'est le regard désabusé sur un monde en perdition, qui part en ... quenouille...
C'est un regard épris d'humanité posé dans un sniper littéraire.
Bon, ma lecture finie, je vais aller enfin pouvoir me rendre dehors et prendre le temps de mesurer l'étendue des dégâts...
♫ Il n'ira pas beaucoup plus loin
La nuit viendra bientôt ♪ ♪
♫ Il voit là-bas dans le lointain ♪ ♪
Les neiges du Kilimandjaro ♫♫