Perdre quelqu’un qu’on a aimé est terrible, mais le pire serait de ne pas l’avoir rencontré.
Tu m’avais dit qu’en son temps le chagrin de l’absence s’efface devant la mémoire des souvenirs heureux.
- Où commence l'aube ?
J'avais tout juste dix ans lorsque, bravant ma timidité maladive, je posai cette question. Le professeur de sciences se retourna, l'air abattu, haussa les épaules et continua de recopier le devoir du jour sur le tableau noir, comme si je n'avais pas existé. Je baissai la tête vers mon pupitre d'écolier, feignant d'ignorer les regards cruels et moqueurs de mes camarades qui n'étaient pourtant pas plus instruits que moi sur la question. Où commence l'aube ? Où s'achève le jour ? Pourquoi des millions d'étoiles illuminent-elles la voûte céleste sans que nous ne puissions voir ou connaître les mondes auxquels elles appartiennent ? Comment tout a commencé ?
Perdre quelqu'un qu'on a aimé est terrible, mais le pire serait de ne pas l'avoir rencontré.
Parfois la distance empêche de trouver les mots justes.
Peut être la nature a-t-elle choisi d'effacer le souvenir de nos premiers instants et de nous protéger en nous interdisant de nous remémorer les souffrances endurées pour prendre possession de la vie. Et, qui sait, afin que jamais nous ne puissions trahir le secret de ces premiers instants ? Je me demande souvent ce qu'il adviendrait de l'humanité si nous comprenions véritablement ce processus ? L'homme se prendrait-il alors pour un dieu. Qu'est ce qui le retiendrait de tout détruire s'il savait créer la vie à loisir ? Quel respect accorderions-nous à la vie, si nous percions le mystère de sa création ?
- Ce ne sont pas seulement des ossements qui restent de nous, Keira, mais le souvenir de ce que nous avons été. Chaque fois que je pense à mon père, chaque fois que je rêve de lui, je l'arrache à la mort, comme quelqu'un que l'on tire du sommeil.
- Alors le mien doit en avoir assez, dit Keira, je ne le laisse pas dormir souvent.
Il n'est pas parti, il est mort ! Pas plus que mon père n'est parti pour un long voyage, comme le disait ce pasteur qui célébrait la messe de funérailles. Mourir est le mot juste, il n'est nulle part ailleurs que dans sa tombe.
Il y a des journées illuminées de petites choses, de riens du tout qui vous rendent incroyablement heureux ; un après-midi à chiner, un jouet qui surgit de l'enfance sur l'étal d'un brocanteur, une main qui s'attache à la vôtre, un appel que l'on n'attendait pas, une parole douce, votre enfant qui vous prend dans ses bras sans rien vous demander d'autre qu'un moment d'amour. Il y a des journées illuminées de petits moments de grâce, une odeur qui vous met l'âme en joie, un rayon de soleil qui entre par la fenêtre, le bruit de l'averse alors qu'on est encore au lit, les trottoirs enneigés ou l'arrivée du printemps et ses premiers bourgeons. [...]
Il est des journées faites de petits riens, des journées sont on se souvient longtemps, sans que l'on puisse vraiment savoir pourquoi.
Je voudrais que nos conversations reprennent, continuer à pouvoir te poser mille questions, entendre les mille réponses que tu me donnais, même quand tu les inventais. Je voudrais encore sentir ma main dans la tienne, marcher à tes côtés comme lorsque nous allions voir la marée quand elle recule vers le large. [...] Je voudrais que tu reviennes, que tu me prennes dans tes bras et que nous repartions ensemble marcher jusqu'au petit port, je voudrais entendre le son de ta voix, me rassurer dans ton regard, comme autrefois.