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sur 989 notes
Roman social, roman noir, roman parfois cru, roman coup de poing.
L'histoire se déroule à Marseille et commence par la mort de Karl, père de famille de 3 enfants , Karel, Hendricka et Mohan le petit dernier , né avec un handicap.
Qui a tué le père ? cet homme toxicomane, violent avec tout le monde et particulièrement odieux avec Mohan qui subira de graves maltraitances.
C'est dans les quartiers nord de Marseille que les personnages évoluent et vont traîner leur fardeau. " la seule chose qui dure toujours, c'est l'enfance, quand elle s'est mal passée."
Les 3 enfants vont , chacun à leur manière, se construire, tenter d'avancer avec ce qu'ils ont, ce qu'ils sont, ce qu'ils ont vu, subis et supporté.
C'est auprès d'une communauté gitane qu'ils trouveront un peu de chaleur et d'amour.

Karel, l'aîné des enfants va porter en lui la haine de ce père et va s'interroger sur la reproduction de la violence.
Karel est particulièrement torturé par cette enfance et combat comme il peut contre la peur de l'héritage génétique, sociale et culturel de son père.

Ce roman sombre met en lumière la misère sociale et la force du determinisme social qui, s'il n'est pas inéluctable, plane et apporte questionnement, lutte et crainte.
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J'avais apprécié la lecture d' « Arcadie » que Rebecca Lighieri avait signé de son vrai nom : Emmanuelle Bayamack-Tam et j'ai autant apprécié ce roman noir, dur et sans pitié.

Âmes sensibles, soyez, prévenus, cette histoire vous entraîne dans les quartiers défavorisés de Marseille, au coeur d'une famille où la maltraitance est le quotidien des trois enfants : Karel le narrateur, sa soeur Hendricka et le dernier, Mohand, qui est handicapé et laid alors que ses aînés se font remarquer par leur beauté.
Karl le père dont on sait dès le premier chapitre qu'il va mourir assassiné dans quelques années, est au centre de l'histoire tant il va marquer de son empreinte néfaste le destin de ses trois enfants et de sa femme.
La mère, elle, est effacée et soumise. Elle tente d'aimer ses enfants mais peu à peu, elle devient indifférente à leur sort pour leur préférer cet homme violent et autoritaire.
Ce père, l'auteure le décrit comme un monstre de veulerie, de cruauté et de machiavélisme. Il n'a de cesse d'humilier ses enfants, surtout Mohand, handicapé sans défense sur lequel il s'acharne particulièrement. Et puis il y a la drogue, la cocaïne que Karl deale. Il y entraine sa femme, et, après le shoot, ils oublient un temps leur vie sordide et sans espoir.
Comment les trois enfants peuvent-ils échapper à toute cette violence ? Ils trouveront l'amitié et l'amour au passage 50, un camp de gens du voyage où l'on est pauvre mais libre.
Le lecteur suit l'évolution de la fratrie marquée par la violence. Quelle vie d'adulte peuvent-ils espérer ? Hendricka sera la première à s'éloigner et à couper les ponts avec ses parents mais, derrière le luxe tapageur de sa nouvelle vie, se devinent les failles. Mohand, le plus mal loti des trois sera curieusement le plus résilient. Il saura tirer parti de ses talents et se faire aimer. Quant à Karel, écorché vif et inconstant, c'est à lui que fait référence le titre : « Il est des hommes qui se perdront toujours ». L'auteure nous dépeint le déterminisme effroyable d'une existence, celle d'une enfance saccagée qui mène à une vie d'adulte malheureuse et ratée.
Les liens d'affection resteront forts entre les trois frères et soeurs que cimente leur haine pour le père.
Le roman est ponctué de chansons, c'est tout d'abord la voix de l'italien Ramazzotti qui ouvre le bal, puis celle de Julio Iglesias quand la mort est là. Il y a aussi l'amour qu'on fredonne en reprenant les chansons de Céline Dion, Khaled ou Johnny. Et puis il y a la chanson pour danser, c'est « Dance Little Sister » de Terence Trent d'Arby qui semble avoir été composée pour Hendricka.

Rebecca Lighieri a su créer des personnages forts et qui nous poursuivront longtemps après avoir refermé ce livre. On peut être accablé par cette avalanche de détresse humaine, ce pessimisme qui imprègne tout le roman, mais il y a çà et là quelques touches d'espoir afin de ne pas désespérer complètement de l'humanité.


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Coup de coeur, non, coup de foudre absolu pour ce roman qui rassemble tout ce que j'aime :
- une histoire originale, car j'aime être surprise et bousculée
- une ambiance un peu sombre, ou même carrément glauque
des personnages « qui ont la rage »
une écriture ensorcelante, féroce, acérée
du rythme et un certain suspense, engendrant un besoin frénétique de tourner les pages pour « savoir »
de la poésie aussi, qui vient trouver la beauté dans les petits coins où elle se niche

Marseille, années 80.

Le premier chapitre s'ouvre sur la question « qui a tué mon père ? », qui trouve sa réponse dans la dernière phrase du chapitre « nous étions trois à avoir été décapités dès l'enfance, trois à qui on avait refusé tout épanouissement et toute floraison, trois à n'être rien ni personne. »

Le ton est donné. D'entrée de jeu nous savons donc que le père est mort, et qu'il y avait trois enfants.

C'est l'aîné, Karel, qui raconte. Karel est beau, toutefois sa beauté n'égale pas la stupéfiante splendeur de sa cadette Hendricka. Puis vient Mohand, le petit dernier, lesté à la naissance par tellement de tares que sa survie tient du miracle. D'autant plus que davantage encore que ses aînés, Mohand subira pendant des années les pires maltraitantes physiques et psychologiques infligées par Karl, le géniteur qu'aucun des trois ne s'aviserait d'appeler papa. Loubna, la mère, console mais ne s'interpose pas.

J'ai adoré et vous recommande cette histoire qui est celle du combat de Karel contre le déterminisme social et génétique, de la lutte acharnée de ces trois enfants pour échapper aux brimades et s'extraire de leur condition, en dépit de cartes si mal distribuées à la naissance.
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Le père, Karl, est mort, je ne révèle rien puisque l'auteure le fait dès la première page, la première ligne. Alors qui l'a tué ? Karel Claès l'avoue : personne ou tout le monde car bon nombre aurait eu des raisons de le faire et en premier lieu lui ou sa soeur Hendricka, belle comme le jour, ou bien Mohand, son petit frère martyr parce que différent, souffreteux, mal fini comme il dit, le souffre-douleur préféré de son père. Un père dit-il mais non pas un père, une bête immonde, qui ne sait que brutaliser, frapper, dealer ou boire sous les yeux de leur mère, de Loubna,  témoin silencieux voire complice du désastre familial. Alors ils ont un mantra secret, glissé derrière un poster :

"-JVTMP
-Tu te rappelles ce que ça veut dire ?
-Bien sûr : je veux tuer mon père ! (p157)"

Cité Artaud dans les quartiers nord à Marseille et la cité n'a que le nom de poétique car ici vous êtes au coeur d'une société qui vit en marge de toutes règles et dans laquelle Rebecca Lighieri nous immerge avec son écriture sans fard afin d'être au plus près du sujet, aucun aspect ne nous est épargné. C'est un roman sur la violence quotidienne, verbale et physique au sein d'une famille, sur trois enfants qui vont devoir comprendre très vite les règles et les limites, qui n'auront d'autres buts que de s'enfuir afin de ne pas monter en eux la même violence. Et pourtant....

"Tant qu'on se crackera bien la gueule avec nos petits cailloux, la société passera ça par pertes et profits. Et si les pertes sont négligeable, les profits sont loin de l'être : la sélection s'opère, naturellement, sans intervention extérieure, sans déploiement des forces de l'ordre - pas besoin de ligne budgétaire, y'a qu'à nous laisser faire, bingo. (p301)"

Entre une cité déshumanisée, un passage 50 où Karel trouve un peu de chaleur et d'amour au sein d'une communauté de gitans, chacun va devoir faire preuve de ténacité pour s'en sortir, pour se faire sa propre ligne de vie, de réussite mais à quel prix car il y a souvent un prix à payer d'une enfance faite de coups, de blessures laissent des cicatrices toute la vie.

"Mon père est mort. Tout est faux dans cette phrase. D'abord, parce que je n'ai jamais eu de père, et ensuite parce que, père ou pas, il est toujours vivant. Au lieu de le tuer, j'ai passé vingt-deux ans à le laisser vivre et prospérer en moi jusqu'à l'intoxication. (p306)"

La beauté, dans ce roman, on la trouve dans la relation entre les trois enfants : à la vie, à la mort et la violence est omniprésente, elle frôle les corps et à travers le personnage de Karel, l'auteure montre bien le combat qui se livre en lui pour ne pas lui-même tomber, reproduire (parfois sans succès) cette violence qui a imbibé sa jeunesse, qui a été son pain quotidien à défaut de nourriture, de tendresse et d'amour.

Je connais l'écriture de Rebecca Lighieri depuis Les garçons de l'été, un roman déjà axé sur la famille, ses dysfonctionnements mais elle franchit dans celui-ci un cap en mettant sous le feu de sa plume, ce qui se cache parfois dans ses barres d'immeubles, près de nous, où le chômage, la mise à l'écart, le manque de ressources sans compter sur le ghettoïsation qui envenime et accentue ce qui était déjà sous-jacent chez certains. C'est insoutenable parfois mais je pense qu'elle a voulu rendre à travers ses mots toute la violence, sans  l'atténuer, qu'il faut être face à celle-ci, la ressentir à la lecture pour essayer d'approcher, je dis bien approcher, ce que certains peuvent vivre au quotidien loin de nos vies confortables. Ici nous ne sommes pas dans un conte de fée, il n'y a pas de preux chevalier, pas de héros qui surgissent pour sauver, mais simplement des êtres qui tentent de survivre, physiquement et moralement.

C'est un récit cru, brutal, sociétal, l'auteure ne cherchant pas à édulcorer car comment pourrait-on le faire et comment cela serait-il possible d'ailleurs sans le travestir. Karel devient l'emblème d'une jeunesse qui paiera toute sa vie les traumatismes d'une enfance qui n'a de l'enfance que le nom et qui ressemble plus à un chemin de croix.

J'ai beaucoup aimé.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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/AU MOINS 3 RAISONS DE LIRE Il est des hommes qui se perdront toujours//

Le nouveau roman de Rebecca Lighieri le pseudo d' Emmanuelle Bayamack-Tam après l'éblouissant les garçons de l'été et on tout autant apprécié ce roman noir, dur et sans concession.


✨Parce que les romans à hauteur d'enfant en général on n'adhère pas trop et là que Karel soit petit, ado ou jeune adulte ce n'est jamais naïf.


✨ Parce que ça se passe dans les annees 80 et 90 et que passé un certain âge il y a comme un réconfort à retrouver certaines références (en tous cas pour moi).


✨ Parce que cette fratrie abîmée par un père violent et cruel qui grandit à Marseille dans la cité Arthaud et rêve d'un autre destin, je ne suis pas prête de l'oublier.

Incontournable dans les poches de cet hiver 2022- Chez folio !
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Trois enfants. Une fille et deux garçons. Hendricka, Karel et le petit dernier nommé Mohand.

Nés dans la mauvaise famille, le désastre, la mauvaise étoile. Un père, Karl Claeys, triste blague belge venue se crasher dans la cité Antonin Artaud après une diagonale Amblève > Marseille. Cité fictive qui ressemble à beaucoup d'autres et où les fulgurances côtoient la folie sans savoir qui engendre quoi.

Loin du centre-ville, sur les contreforts du massif de l'Etoile. Un genre de Notre-Dame-Limite d'où Notre-Dame se serait enfuie en hurlant, hirsute et affolée. Un de ces territoires relégués géographiquement et socialement.

Dans ses bagages Karl a emporté ses combines foireuses, de l'héroïne, sa shooteuse ainsi qu'une capacité hors-du-commum à bousiller les gens qu'il fréquente. Et en premier lieu, sa femme Loubna rencontrée sur place et leurs trois enfants qui cohabitent avec lui, passagers involontaires et résignés de sa méchanceté brute.

Le narrateur sera Karel, l'aîné. Il nous parle depuis un futur où le monstre a été terrassé comme dans L'Odyssée par un assassin nommé "personne". Il se livre à l'orée de sa vie d'adulte à un psy, remontant le fil de sa courte histoire. 20 ans de cauchemar pour une fratrie en proie à la violence d'un père, au silence d'une mère et à l'indiffèrence presque unanime du monde autour. École comprise.

Marseille est encore une fois un théâtre antique à ciel ouvert, décor d'une tragédie implacable. Elle n'est pas vraiment agissante dans ce livre, cela aurait très bien pu se passer ailleurs. Seuls quelques évènement historiques viennent saupoudrer le texte et l'ancrer. Elle se contente d'accueillir et de tendre les bras aux personnages.

Sa géographie accompagne leurs évolutions et avant tout celle de Karel : d'Antonin Artaud au Boulevard Sakakini puis à la rue Consolat. On se rapproche du centre-ville au fur et à mesure que la vie évolue, qu'on trouve un emploi, qu'on emménage avec sa copine et que l'on tente d'oublier sa cité crasseuse. Sociologie des rues.

Pourtant les dieux ne perdent jamais de vue les enfants Claeys et s'acharnent sur cette famille en déchaînant les éléments sur elle. Des ciels d'orage où Zeus lance son foudre, ulcéré par tant de brutalité et d'immoralité réunies dans une même famille. Les Atrides ou les Labdacides n'ayant rien à lui envier.

Deux enfants à la beauté divine (Apollon et Artemis ? Mais Karel et Hendricka ne sont pas des jumeaux) et un autre disgracieux, voué aux tourments physiques et moraux (Héphaistos ?). Un père qui dévore ses enfants. (Cronos ?)

Des origines nébuleuses d'hommes et de femmes fuyant leurs destins et brouillant les pistes en les croisant. Les lignées de deux familles qui s'ignorent et se cherchent. (On pense à Oedipe pour les origines opaques )

Meurtre, sacrifice pour refaire souffler le vent de la vie au milieu du désespoir, (Iphigénie) adultères. Mythologie incarnée et douloureuse.

J'ai été un peu décontenancé. le voyage m'a plu mais les personnages avec qui je l'ai fait me laissent perplexes. Et avant tout Karel. Karel le fracassé et son acronyme évocateur.

Il a vécu une enfance terrible avec sa soeur et son frère à subir la colère et la bêtise crasse d'un père fide fade et colérique. Dur de vivre dans la peur constante de ses crises de folie...

Comme si cette violence était un pays dans lequel lui, son frère Mohand et sa soeur Hendricka avaient appris à vivre, en se blotissant dans les infractuosités du terrain : une mère dépassée, soumise et mutique ; un camp de gitan derrière la colline ; ou la fuite loin de ce monde que l'on attend, que l'on prépare et que l'on souhaite.

On se cache dans ce roman, on se terre. On dissimule aux autres ses envies, sa vérité, pas toujours très belle. On change de noms pensant que le destin perdra ainsi notre trace en feuillettant le bottin mondain, ce bal maudit. On ment comme on soupire.

Mon enfance a été trop heureuse et c'est ce détail qui m'empêche d'accepter le résultat d'une telle opération, à savoir que les brimades continues, les coups et l'humiliation au quotidien ne peuvent que très rarement donner des adultes calmes, pacifiques et altruistes.

A partir du chapitre "Les filles en "i" m'a colère n'a cessé de monter. Un personnage a brusquement fait une embardée. On la pressentait mais pas à ce point. J'en suis arrivé à l'insulter. Je l'ai même invectivé en le questionnant par écrit sur les pages du livre, inscrivant des "Et toi connard ?" dans la marge. Ça ne m'arrive pas si souvent...

C'est dur de suivre un protagoniste qui nous tend, nous énerve. Ah Karel. Mec. Assume. Arrête de ne penser qu'à ta jolie petite gueule 5 minutes...oui c'est Caporal bobo qui te parle au talkie, tu sais ? de ceux que tu détestes et jalouses ? Mais je sais, je n'ai aucun mérite de parler depuis là d'où je parle. Donc je ferme ma gueule et je te regarde faire des roues arrière improbables avec ta vie et surtout celle des autres. Spectateur qui se mord les lèvres du gâchis en puissance et de l'accident ferroviaire qui ne manquera pas de se produire.

Rebecca Lighieri nous bouscule, volontairement, dans nos certitudes et dans notre confort. On se questionne, on s'étonne, nos appuis sont moins assurés, comme si l'autrice nous avait placé une bonne balayette et attendait, goguenarde, notre réaction.

L'auteur parle d'une "suspension du jugement" qu'elle revendique envers ses personnages que la vie, la société, a priori ont déjà jugé et marginalisé. Elle ne tient pas à surcharger leurs barques. Juste les mettre à l'eau, les voir nager. Ou couler.

Le titre n'est d'ailleurs pas une affirmation pour elle. Il reste une interrogation à laquelle on peut répondre ou pas. Les Hommes, au sens de l'espèce restent à définir. Karel, Karl, Mohand, Loubna ? Tout le monde ?


Quelque chose m'a manqué pourtant dans le rythme sans que je ne puisse vraiment mettre le doigt dessus. Je pense que malheureusement certaines scènes, presque des tableaux, viennent nuire au rythme global du roman. C'est tellement fort, que cela casse le fil du récit, le rend trop fin. Comme des diamants trop lourds sur un collier. Cela peut arriver en peinture, où un morceau de bravoure tout virtuose soit-il, peut venir casser l'unité.

Ces passages sont forts, bien écrits. Ils font sauter l'électrocardiogramme qui ensuite paraît étrangement plat. C'est dur à dire mais certains passages sont trop puissants vis à vis du reste et notamment du 3ème tiers du roman et de la fin qui s'essouflent un peu à mon goût.

C'est le défaut d'une qualité. Ce n'est moins bon que parce que cela cohabite avec du précieux, pas parce que c'est moyen.

J'ai d'ailleurs vraiment aimé la plume de l'autrice. Pleine de jus. Les personnages persistent et m'interpellent régulièrement dans ma vie de tous les jours. Je vois des Karel assez souvent ou je crois en voir lors de mes errances. Plus rarement un Mohand au visage abimé. Beaucoup de chair et de vie données à ces enfants que l'on suit dans leur adolescence ("la mue périlleuse") et dans leurs premières années d'adultes qui ne sont pas les plus simples à vivre non plus. Une tendresse particulière pour l'opulente Choucha.

Puis il y a des scènes très marquantes.

Bouleversantes même.

Certaines violentes, d'autres moins mais intenses toujours. Sexe, shoot, aggression, mise à mort.

De ces paroxysmes acrobatiques où le ridicule guette à chaque adjectif, Rebecca Lighieri se sort très bien, arrivant à ses fins et plongeant les lecteurs dans ce fort courant.

Pas de "Bad sex in fiction award" pour Mme Lighieri donc.

En ce qui concerne la marge accueillante et les exclus inclusifs...j'aimerais y croire mais je ne suis pas totalement convaincu. Cynos de Berge Rase me souffle doucement à l'oreille des réflexions empoisonnées et sarcastiques. Si seulement...

Une autre petite remarque (oui ça fait beaucoup mais je l'aime bien ce livre je le redis) qui m'a fait un peu cligner de l'oeil comme un cornichon trop vinaigré : le mot "go" n'est, à mon avis, pas apparu à Marseille en 1990. Cela est bien plus récent. A moins que ce ne soit le Karel narrateur du 21ème siècle qui l'utilise ? Même réflexion pour "bicrave" en 1998. Je n'ai commencé à l'entendre que vers 2005 et pas sur Marseille dans un premier temps. Pour finir le mot "terma" ??? J'ai toujours dit "tarma" en ce qui me concerne.

Lighieri dit qu'elle a remarqué qu'elle se réservait pour les narrateurs masculins, pour une certaine noirceur. Plus percutante, plus romancée et moins poétique que Bayamack-Tam. Elle se permet plus de violence physique comme dans un pulp. Elle écrit "sous pseudo", et loue l'effet "stupéfiant" que cela convoque chez elle et qui la déshinibe. La trame est déjà présente contrairement aux livres de Bayamack- Tam qui se forgent "chemin faisant".

Philippe Lançon dit que "Lighieri est la version pop de Bayamack-Tam".

Et en parlant de pop, la musique et les chansons des années 1980 à 2000 sont au centre de ce roman. Rebecca Lighieri a construit l'histoire autour d'elles, les laissant infuser dans son esprit pour en colorer les atmosphères, souligner des ambiances et convoquer les souvenirs, pour les chanceux nés dans ces décennies ; pour le meilleur et pour le pire dit-elle. Elle a failli nommer chaque chapitre du titre d'une de ces chansons mais a renoncé en route, craignant l'aspect trop systématique.

Ce livre, malgré quelques irritations, me donne très envie de lire assez vite autre chose de l'autrice quel qu'en soit le nom. Par ricochets, l'envie aussi de découvrir Antonin Artaud dont le titre est une citation et dont L ADN triple fait de poésie, de drogue et de folie irriguent ce roman.

Quelques details amusants aussi, comme la famille Sastre, gitans du passage 50 aux goûts vestimentaires très marqués et dont le nom signifie "tailleur" en espagnol.

Le pseudo Lighieri aussi qui fait de l'oeil à Dante Alighieri.

Je relirai sûrement certains passages bouillonnants, comme on va au musée revoir une oeuvre qui nous a touché.

En tout cas, une lecture qui ne m'a pas épargné. J'aime.




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Whaouh ! Quel choc, ce roman !
Je l'ai lu en 24 heures. J'ai été happée par l'histoire de cette famille. Karl Claeys est un belge qui a épousé Loubna, une kabyle, et vit à Marseille dans une cité. Ils ont trois enfants : Karel, Hendricka et Mohand.
Mohand est handicapé. Karl est ultra- violent et frappe régulièrement ses 3 enfants qu'il terrorise. Il s'en prend surtout à Mohand qu'il traite de tous les noms et enferme dans un placard. La mère ne dit rien..
Karl vit de magouilles pour se payer sa drogue, Loubna travaille dans une boulangerie mais parfois il n'y a rien à manger.
Les enfants sont très soudés et essaient de s'en sortir malgré cette enfance désastreuse. Ils ne peuvent en parler à personne. Ils trouveront du réconfort et un peu de chaleur humaine chez la famille gitane qui habite à côté.
C'est un roman très noir, le style est très vivant, imagé. Les personnages débordent d'énergie et d'envie de vivre.
C'est un roman sur le déterminisme social : comment se construire quand on a manqué d'amour, quand on n'a pas reçu de confiance en soi ni encouragements, quand on a été élevé dans la misère ? Est- on immanquablement condamné à reproduire ce qu'on a vécu, Karel sera t'il forcément violent comme son père ?
C'est un roman bouleversant mais on ne sombre jamais dans le pathos ( même si j'ai eu souvent les larmes aux yeux.)
Il vient de paraître en poche et je le recommande vivement car c'est un grand roman.
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Dans son article intitulé « La liquidation de l'opium » paru en 1925 dans la revue « La Révolution surréaliste », Antonin Artaud s'insurge contre la volonté de l'État de lutter contre les drogues : « Vous n'empêcherez pas qu'il y ait des âmes destinées au poison, quel qu'il soit, poison de la morphine, poison de la lecture, poison de l'isolement, poison de l'onanisme, poison de l'anti-sociabilité. Supprimez-leur le moyen de folie, elles en inventeront dix mille autres. » Ainsi, considérant que certaines âmes sont perdues à jamais, sa revendication se résume à quelques mots : qu'on leur foute la paix à lui et aux autres êtres souffrants puisque de toute façon, ils trouveront forcément une échappatoire quelconque pour supporter le monde et soulager leur folie.
« Elles (les âmes) créeront des moyens plus subtils, plus furieux, des moyens plus désespérés. La nature elle-même est anti-sociale. Laissons se perdre les perdus, nous avons mieux à faire qu'à occuper notre temps à une régénération impossible et de plus, inutile, odieuse et nuisible. de plus les perdus sont par nature perdus. Il y a un déterminisme inné, il y a une incurabilité indiscutable du suicide, du crime, de l'idiotie, de la folie... » Et la chronique se termine sur ces mots : « L'homme est misérable, l'âme est faible, il est des hommes qui se perdront toujours. Peu importent les moyens de la perte; ça ne regarde pas la société. »
S'inspirant des propos du théoricien, Rebecca Lighieri (pseudo d'Emmanuelle Bayamack-Tam) illustre dans son dernier roman très très noir (je vous préviens!) non seulement une certaine forme de déterminisme psychologique (t'es mal, tu le resteras) mais elle s'attaque aussi au déterminisme social à travers l'histoire tristement banale de trois gamins flingués par la vie et plus précisément par leur père, un monstre, une ordure, un pauvre type… Trois enfants, « trois fleurs décapitées » dont il ne reste que les tiges qui tiennent debout on ne sait par quel miracle…
Mohand, le plus jeune, à qui le père toxico a répété à l'envi qu'il n'était pas son fils, lui le môme handicapé qu'il surnomme le gogol, le triso, répétant sans cesse qu'il aurait mieux valu s'en débarrasser de ce gosse puant, le faire crever, ce à quoi il est presque parvenu à force de sévices en tous genres, d'humiliations sans nom et de haine infinie…
Mohand, le miraculé, Mohand encore debout, Mohand, l'ange aux ailes broyées… Comment se construit-on sur des sables mouvants sans se faire engloutir et sans finir par disparaître de la surface de cette pauvre terre où l'on n'a fait que souffrir ?
Et puis, il y a Hendricka que le père a traînée dans les cafés de la cité des quartiers nord de Marseille où ils vivent dans ces années 80/90 (la cité Antonin Artaud - il est né à Marseille-) et dont les piliers de bar ont largement reluqué les cuisses, la belle Hendricka qu'il a présentée à des castings débiles pour tirer du fric de sa beauté insensée, parce que la popularité, ça rapporte, c'est mieux que les diplômes, plus utile que l'école.
Enfin, il y a Karel, ce narrateur à la beauté foudroyante et à la sensibilité à fleur de peau, celui qui dit sa haine et son dégoût à chaque page, hurle son amour pour Mohand et Hendricka, tentera de mettre des mots sur le pire, l'insoutenable en avançant à tâtons vers un mirage de bonheur.
Ces trois-là, comme tant d'autres, ont morflé et pas qu'à moitié. D'aucuns diraient qu'ils ne s'en relèveront jamais. Et ils auraient sans doute raison. Une enfance brisée, c'est pour la vie… « L'espérance de vie de l'amour, c'est huit ans. Pour la haine, comptez plutôt vingt. La seule chose qui dure toujours, c'est l'enfance, quand elle s'est mal passée. »
Oui, bien sûr, vous me direz, et la résilience ?...
Allez, on peut se garder deux trois illusions sous le coude, ça ne mange pas de pain…
Échappe-t-on de là d'où l'on vient ? Se remet-on du pire, de l'insoutenable, de l'horreur ? Reproduit-on forcément ce que l'on a subi ? Devient-on génétiquement violent ?
Rebecca Lighieri a les mots pour décrire la violence et l'on vit de l'intérieur ce que ressent Karel, sa haine pure vis-à-vis de ce père destructeur, la confusion de ses sentiments, le chaos de ses émotions, toutes les difficultés qu'il a à se construire, à devenir un homme et à se projeter dans un avenir plus ou moins lointain avec sa copine Shayenne qui vit dans un camp de gitans sédentarisés où lui-même trouvera refuge.
Quel personnage que ce Karel, de ceux qu'on n'oublie pas : il est tellement attachant, tellement perdu dans cette famille foutraque qui ne lui a jamais donné aucun repère, aucune joie, aucun amour...
On ne pleure pas quand on lit Rebecca Lighieri. Et pourtant, on pourrait... Non, pas de pathos, pas de mélo. On plonge dans le pire, sans détour, à sec. Les mots cinglent, heurtent, cognent. Ce sont des directs qu'on se prend en pleine figure, et l'on sort sonné. Sonné mais sans larmes, car, comme Karel, on sent que si l'on veut finir le roman, il faut tenir parce qu'on n'est pas encore au bout du pire et peut-être aussi parce que dans cet enfer, émerge, malgré tout, beaucoup d'humanité…
On sent qu'elle les aime ses personnages, Rebecca Lighieri , qu'elle vit avec, les sent, les touche, qu'ils sont là devant elle, incarnés (quelle sensualité dans l'écriture !)… Ils sont tellement vivants, tellement vrais dans leur terrible complexité. Il faut, je pense, avoir fréquenté et observé pas mal d'ados pour parler d'eux comme elle le fait, avec leurs mots, leurs codes, leur façon d'être au monde…
Et puis, il y a cette bande-son omniprésente qui nous entraîne, parce que ce roman, c'est aussi de la musique, de la soul, du funk, du rap, des chansons populaires qu'on fredonne tous les jours, des tubes sirupeux qui nous comblent d'aise secrètement… Je repense soudain à cette scène magistrale que je n'oublierai jamais où les trois jeunes dansent parce que, pour une fois, ils vivent un moment de bonheur. Magnifique play-liste qu'il faut absolument écouter parce qu'elle insuffle encore davantage de vie, de mouvement et ajoute encore de l'émotion à ce texte déjà si fort…
Allez, finissons sur un petit « Dance Little Sister » de Terence Trent D'Arby ou bien, si vous préférez « Right On » des Pasadenas et imaginons-les, ces gosses, être heureux un instant, un instant seulement…
Qu'est-ce que ça fait du bien et comme c'est beau à voir...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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J'ai gardé un mauvais souvenir de l'"Arcadie" d'E.Bayamack-Tam, je viens de relire mon billet. En revanche sous le pseudo Rebecca Lighieri, ce nouveau roman m' a complètement retournée, c'est peu dire et ce n'est surtout pas fréquent.
Le roman débute dans les années 80 à Marseille; Une famille de 3 enfants , 1fille et 1 garçon beaux comme le jour, 1troisième garçon souffreteux, avec des malformations; le père est d'origine belge, la mère d'Afrique du Nord.
Ce qui ce passe dans ce qui devrait être un foyer fait dresser les cheveux sur la tête, un père ultra violent et grossier , une mère apathique, le petit dernier surtout subit les pires insultes.
Leur souhait à ces 3 enfants quand ils le pourront, sera de tuer l'ignoble qui leur sert de père.
A quelques centaines de mètres de chez eux, un camp de gitans, les enfants mal aimés y trouveront amitié et plus même. Il s'avère qu'un secret relie ces familles.
C'est à l'age adulte qu'un des enfants écrit l'histoire, ils s'en sont sortis, blessés certes, mais vivants.
Il faut du temps pour reprendre pied après une telle lecture. Quel cyclone émotionnel!
Il faut du talent aussi pour assembler des mots que tout le monde pratique, qui peuvent rester plats chez certains auteurs et semer autant de trouble parfois.
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Eblouissant. Une vraie pépite ....Dévoré en l'espace de deux nuits et suis dans le même état d'extase, impatient de regagner ma tanière le soir pour me plonger dans Les garçons de l'été.
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