Dans la brillantissime famille Littell, je demande le père. Robert est historien. Il écrit sur des politiques, des écrivains, tout particulièrement sur ceux qui ont été pris dans la tourmente communiste,
Mandelstam, Maïakovski..... tout comme sur l'espion Philby.
Dans son dernier opus, il s'attaque tout simplement..... à Staline, le vieux Staline vu à travers l'oeil à la fois sagace et innocent d'un petit juif de dix ans.
Leon vit dans la Maison du Quai, un énorme immeuble où loge toute la Nomenklatura, politique ou scientifique, tout comme Svetlana, la fille de Staline. le papa de Léon est physicien nucléaire; sa maman, cardiologue à l'hôpital du Kremlin. Ils y ont donc toute leur place et disposent d'un appartement quand les russes pauvres s'entassent dans des logements collectifs. Mais ce père meurt dans un accident de laboratoire. Et, un jour, on vient arrêter la mère, accusée d'appartenir au complot des blouses blanches. Leon naturellement n'en croit pas un mot, ses parents sont si fiers du grand camarade Staline, mais en attendant il se retrouve seul, tout comme son amie Isabeau, dont le père a été condamné à mort comme espion britannique, bien qu'il ne parle même pas l'anglais. Et d'autres enfants encore. La police politique se souciait peu de savoir si les personnes arrêtées laissaient des marmots derrière elles. Alors ils se cachent, vivant en communauté, car la Maison du Quai est truffée de passages secrets, portes dissimulées, escaliers dérobés..... et il y a de plus en plus d'appartements vacants, protégés par des scellés marqués NKVD. Et c'est au cours d'une de ces explorations qu'en haut d'un escalier qu'il vient de découvrir, Leon trouve quatre malabars en train de jouer aux échecs, et au dessus des malabars un petit vieux, intrigué par l'intrusion du gamin, que sa vivacité d'esprit réjouit (il en sait des choses le gamin, en particulier sur les réactions nucléaires, sa passion...), et qui l'invite à revenir lui rendre visite aussi souvent qu'il le veut, et à bavarder au dessus d'une superbe glace à la vanille nappée de chocolat chaud...
Qui peut il être, ce petit vieux qu'on appelait
Koba, qui pue du bec, pète, porte un collier d'ail autour du cou et boit du lait.... Surement un proche du grand camarade Staline, qu'il aide à gouverner le pays!
Koba lui explique tout, la stratégie pour se débarrasser de cette saloperie de Hitler, les saloperies de koulaks qui préféraient égorger leurs deux vaches que de les remettre à la communauté, les saloperies de juifs, à commencer par Trotsky, qui infestaient le parti à ses débuts.... Quand même, Léon renâcle, il trouve qu'on a condamné beaucoup de juifs. Ah mais! on a aussi fusillé énormément de Polonais, et c'étaient pas des youpins, ceux là! Argument imparable.....
Koba parle, parle, explique, tu notes tout dans ton carnet, très bien, ahah ainsi tu pourras écrire une biographie autorisée quand je serai mort -quand
Koba sera mort, s'intéressera t-on vraiment à lui? Aura t-il seulement quelques lignes de nécrologie à la dernière page de la Pravda?
Ce qu'il adviendra de la maman de Léon (il a demandé à son vieil ami s'il pouvait faire quelque chose pour elle, non il n'a rien à voir avec le NKVD, mais il va essayer de se renseigner, pas de chance: elle a avoué...); et de la maman d'Isabeau; et que va faire Léon en grandissant, vous le saurez en lisant ce superbe, intelligentissime livre....
Comment dire?
Robert Littell ne dédouane pas Staline, évidemment. Mais il essaye de le comprendre, en évoquant un enfant terrorisé par cette brute alcoolique de cordonnier qui lui servait de père, qui le frappait et enfermait dans un cagibi plein d'araignées le petit Joseph qui en avait une peur panique. Croyez en la spécialiste mondiale de la terreur des araignées: il y a de quoi vous donner ensuite l'envie de massacrer le reste du monde.....
Magnifique! à lire absolument