Citations sur Croc-Blanc (185)
Mais chacune de ces mésaventures continuait son éducation. A chaque pas, il s'ajustait mieux au monde ambiant.
Haïr était sa passion et il s'y noyait. La vie, pour lui, était l'enfer. Fait pour la liberté sauvage, il devait subir d'être captif et reclus.
Ratatiné sur lui-même et rampant, le vieux loup se rapprocha en ayant soin de ne pas être sous le vent des deux bêtes immobiles et muettes. Puis... il considéra le drame de la vie qui était en train de se jouer devant lui. Le lynx et le porc-épic attendaient. Tous deux prétendaient vivre. Le droit à l'existence consistait pour l'un à manger l'autre; il consistait pour l'autre à ne pas être mangé. Dans le drame, le vieux loup ajoutait son droit aux deux autres. Peut-être un caprice du sort allait-il le servir et lui donner sa part de viande.
Si Croc-Blanc n'était pas venu vers le feu des hommes, le Wild l'eût moulé en un vrai loup. Mais ses dieux lui avaient créé un milieu différent et l'avaient moulé en un chien qui conservait quelque chose du loup, mais qui était tout de même un chien et non un loup.
Car l'homme est le plus agité de tous les êtres, jamais en repos et jamais las [...].
Le vieux Villan, dit Bill en se parlant tout haut à lui-même, possédait un chien qui avait coutume de s'échapper pour aller courir avec les loups. Nul ne le sait mieux que moi, car je le tuai un beau jour, dans un pacage d'élans, à Little Stick. Le vieux Villan en pleura comme un enfant qui vient de naître. Il n'avait pas vu ce chien depuis trois ans. Tout ce temps, la bête était demeurée avec les loups.
Chasseurs et chassés, mangeurs et mangés, chaos de gloutonnerie sans merci et sans fin, ainsi le louveteau n’eût-il pas manqué de définir le monde, s’il eût été tant soit peu philosophe, à la manière des hommes.
Il regardait se mouvoir et aller et venir dans le camp les animaux-hommes. Il les regardait avec le respect distant que met l'homme entre lui et les dieux qu'il invente. Dans son obscure compréhension ils étaient, comme les dieux pour l'homme, de surprenantes créatures, des êtres de puissance disposant à leur gré de toutes les forces de l'Inconnu. Seigneurs et maîtres de tout ce qui vit et de tout ce qui ne vit pas, forçant à obéir tout ce qui se meut et imprimant le mouvement à ce qui ne se meut pas, ils faisaient jaillir de la mousse et du bois mort la flamme couleur de soleil, la flamme qui vivait et qui mordait.
Ils étaient des faiseurs de feu ! Ils étaient des dieux !
On eût dit des croque-morts masqués conduisant, en un monde surnaturel, les funérailles de quelque fantôme. Mais sous ce masque, il y avait des hommes qui avançaient malgré tout sur cette terre désolée, méprisants de sa railleuse ironie et dressés, quelque chétifs qu'ils fussent, contre la puissance d'un monde qui leur était aussi étranger, aussi hostile et impassible que l'abîme infini de l'espace.
Il aurait volontiers dormi, mais la faim le tenaillait, et la nature bruissait si fort autour de lui qu'il ne parvenait pas à trouver le repos. Depuis plusieurs jours, le soleil d'avril avait retrouvé une vraie chaleur, et toute la terre du Grand Nord vibrait sous ses rayons, comme répondant à un irrésistible appel: la vie sourdait de toutes parts; l'air avait l'odeur, la saveur du printemps, un goût de fête, une qualité particulière, indéfinissable, qui annonçait la fin de l'hiver, le réveil de la vie qui s'était tapie pendant de longs mois sous la neige, la montée irrésistible de la sève dans les arbres, l'éclatement des bourgeons sous les écorces gelées.