Croc-Blanc

Le mouvement répugne au Wild et la vie lui est une offense. Il congèle l'eau pour l'empêcher de courir à la mer; il glace la sève sous l'écorce puissante des arbres jusqu'à ce qu'ils en meurent et, plus férocement encore, plus implacablement, il s'acharne sur l'homme pour le soumettre à lui et l'écraser.

Cette persécution de la meute lui apprit deux choses importantes : à se tirer d'affaire lors d'une confrontation inégale ; et, en combat singulier, à faire le plus de dégâts possible dans le laps de temps le plus court.

Contrairement à l'homme, dont les dieux appartiennent au domaine de l'invisible et de l'incertain - vapeurs et fumées fantasmagoriques éludant les atours de la réalité, spectres errants d'un désir de bonté et de puissance, intangibles projections du moi au royaume de l'esprit -, le loup et le chien sauvage ont trouvé près du feu des dieux en chair et en os, sensibles au toucher, inscrits dans l'espace et le temps pour parvenir à leurs fins et accomplir leur destinée.

Le louveteau s'aplatit au sol en grondant. Mais l'écureuil, dont la panique fut au moins égale à la sienne, grimpa prestement dans l'arbre, et se mit à jacasser avec véhémence dès qu'il s'estima hors d'atteinte.

"L'inconnu est un des principaux éléments de la peur."

On ne peur pas aller contre sa nature profonde sans finir par opérer un repli sur soi. (Page 154)

Insidieusement, autant par la contrainte, les claques, les coups de bâton ou les pierres, que par des voies plus mystérieuses, les chaînes de la servitude resserraient leur emprise sur Croc-Blanc.

On ne peut aller contre sa nature profonde sans finir par opérer un repli sur soi. Un repli semblable à celui d'un poil qui, destiné à pousser à l'extérieur du corps, se retournerait sur lui même pour s'enfoncer dans la chair - et devenir un douloureux motif d'irritation et de purulence.

Une sorte d' envie de rire s' emparait de l' esprit, tragique comme celui du Sphynx , rire transi, et sans joie, quelque chose comme le sarcasme de l' Eternité
devant la futilité de l' existence et les vains efforts de notre être. C' était le Wild.
Le Wild farouche, glacé jusqu' au coeur, de la terre du Nord .

De chaque coté du fleuve glacé, l' immense foret de sapins s' allongeait,
sombre et comme menançante.