L’attente
Mon cœur est maintenant ouvert comme une porte.
Il vous attend, ma Bien-Aimée : y viendrez-vous?
Que vous veniez aujourd’hui ou demain, peu m’importe!
Le jour, lointain ou proche, en sera-t-il moins doux?
Ce n’est point un vain mal que celui de l’attente;
Il conserve nouveau le plus ancien désir.
L’inattendu bonheur dont la venue enchante
Passe; à peine en a-t-on su goûter le plaisir.
Et l’on s’en va criant l’inanité des choses,
Pour ne s’être jamais aux choses préparé;
Insensé, qui repousse un frais bouquet de roses,
Accusant le parfum qu’il n’a pas respiré.
Une heure seulement de pure jouissance,
Pourvu que Dieu m’accorde un quart de siècle entier
De rêve intérieur et de jeune espérance,
Pour méditer sur elle et pour l’étudier,
Pour ordonner l’instant suprême qui décide,
Pour que rien ne se perde et que tout soit joui
Jusqu’à la moindre miette, et que le temps rapide
S’envole, n’emportant que de l’évanoui!
Une heure suffira. J’aurai vécu ma vie
Aussi pleine qu’un fleuve au large de son cours,
L’ayant d’une heure, mieux que de jours fous, emplie;
D’une heure, essence et fruit substantiel des jours!
Mon cœur est maintenant ouvert comme une porte.
Il vous attend, ma Bien-Aimée : y viendrez-vous?
Que vous veniez demain ou plus tard, il n’importe!
Mon attente d’amour fera de telle sorte
Que mon lointain bonheur en deviendra plus doux.
Intimité
En attendant le jour où vous viendrez à moi,
Les regards pleins d’amour, de pudeur et de foi,
Je rêve à tous les mots futurs de votre bouche,
Qui sembleront un air de musique qui touche
Et dont je goûterai le charme à vos genoux…
Et ce rêve m’est cher comme un baiser de vous!
Votre beauté saura m’être indulgente et bonne,
Et vos lèvres auront le goût des fruits d’automne!
Par les longs soirs d’hiver, sous la lampe qui luit,
Douce, vous resterez près de moi, sans ennui,
Tandis que feuilletant les pages d’un vieux livre,
Dans les poètes morts je m’écouterai vivre;
Ou que, songeant depuis des heures, revenu
D’un voyage lointain en pays inconnu,
Heureux, j’apercevrai, sereine et chaste ivresse,
À mon côté veillant, la fidèle tendresse!
Et notre amour sera comme un beau jour de mai,
Calme, plein de soleil, joyeux et parfumé!
Et nous vivrons ainsi , dans une paix profonde,
Isolés du vain bruit dont s’étourdit le monde,
Seuls comme deux amants qui n’ont besoin entre eux
Que de se regarder, pour s’aimer, dans les yeux!
La chanson des mots
Il est des mots qui sont des joies
Et d’autres qui sont des douleurs.
D’autres ont la douceur des soies,
D’autres ont l’arôme des fleurs.
Tous ont monté de l’âme aux lèvres,
Un soir triste, un matin joyeux;
Tous ont brûlé du feu des fièvres,
Ils ont lui tous au fond des yeux.
Tous ont fait vibrer d’autres êtres
De leur propre et sacré frisson;
Tous auront la gloire des maîtres,
S’ils ont fait naître une chanson,
Une chanson douce et câline,
Légère à la brise des soirs,
Une chanson grave et divine
Où sonnent d’immortels espoirs…
Il est des mots qui sont des joies
Et d’autres qui sont des douleurs,
D’autres ont la douleur des soires,
D’autres ont l’arôme des fleurs.
Les mots d’amour
Les mots d’amour ne meurent pas,
Ils vivent au fond des mémoires
Comme les anciennes histoires
Qu’enfants, on nous contait, tout bas.
Ils sont les souvenirs des heures
Dont les regrets sont les moments;
Parfois, ils en sont les tourments
Et blessent les âmes meilleures.
Car plus d’une, au jour des aveux,
Prenant pour témoin l’hirondelle,
Jura qu’elle serait fidèle
Et ne ferait qu’une de deux.
Elles ont trahi! Pauvres âmes,
Leur amour, c’était l’amitié…
Mais les mots d’amour. sans pitié,
Les brûlent ainsi que des flammes!
Car – tristesse! – ils ne meurent pas,
Ils vivent au fond des mémoires
Comme les anciennes histoires
Qu’enfants, on nous contait, tout bas.
Douleur
Ce soir je me sens malheureux
C’est qu’il a menti le beau songe!
Je m’exaltais en plein mensonge
Ah! comme j’en sors douloureux!
Je croyais, et c’était ma gloire!
J’espérais, c’était mon bonheur!
Et maintenant, j’ai dans le cœur
Le mal affreux de ne plus croire!
Je pleure, et ma main tremble un peu…
Demain, je serai triste encore.
Je verrai sans plaisir l’aurore
Et sans plaisir l’infini bleu…
Quand on souffre par une femme,
Sans espoir d’être consolé,
On ne voit, d’un œil désolé.
Que le ciel sombre de son âme…