Il se mit à trembler en se revoyant dans le bureau d’Arenzano, sous le portrait du Duce. « Un bon policier, vice-commissaire Marino, c’est un policier zélé qui respecte la hiérarchie… » Et cet homme voulait le faire passer par dessus le commissaire ? Cette seule pensée, même formulée silencieusement dans sa tête, était déjà une menace de mutation en Sardaigne pour y débusquer les bandits. Dannunzio, qui avait écarté les bras, les laissa retomber le long de son corps.
– Je comprends. Le commissaire n’aimerait pas que la Rimini des vacances du Duce ressemble au Chicago des gangsters. Et moi non plus, du reste, vous pensez bien. Mes salutations, vice-commissaire…
Il tendit la main, la retira aussitôt et ferma les yeux en soupirant.
– Ah ! J’oubliais, on ne se serre pas la main, non, on ne se serre pas la main…
Et il tendit le bras en l’air en claquant des talons.
Malgré les fenêtres qu’il avait laissé ouvertes, la chaleur infernale qui régnait chez lui assaillit Marino dès qu’il ouvrit la porte après avoir cherché la clé dans toutes ses poches. Il ferma les yeux en poussant un soupir las qui évacua tout le bien-être procuré par ce verre de vin pris à jeun. Il referma la porte, croisa les persiennes, puis il ôta sa veste, fit tomber ses bretelles, s’empressa d’enlever sa chemise trempée de sueur et resta en tricot de peau, debout dans la pénombre chaude, les épaules voûtées et les bras ballants, respirant lentement entre ses lèvres ouvertes. Le long gargouillement sourd et presque douloureux de son estomac lui rappela qu’il n’avait pas mangé.
En 1926, quand les lois spéciales sont sorties, le commissaire de l'époque nous avait dit que, grâce à Mussolini, on était devenu la police la plus puissante du monde. Je n'en ai pas l'impression. Je dois arpenter la ville en long et en large, comme un espion, en cachette, pour éviter de finir en Sardaigne ou pire encore. Et sans pouvoir demander quoi que ce soit à des gens qui semblent en savoir plus que moi.
Très vifs compliments pour rapide résolution affaire. Stop. Démonstration, efficacité, parfait style fasciste. Signé M.
Marino se pencha en avant, posa ses lèvres sur la soie douce, elle cambra le dos quand sa bouche remonta lentement jusqu’à son cou qu’il mordit doucement. Laura frémit en gémissant, elle se retourna et l’embrassa. Un baiser violent, presque une morsure, qui laissa sur ses lèvres un léger goût douceâtre, comme du sang.
Carlo Lucarelli - Le temps des hyènes