30 mars 1917, prison de Wronke - lettre à Hans Diefenbach
(...) Un jour, nous allâmes à Marenfelde en traversant les champs. Vous connaissez le chemin - vous souvenez-vous ? Nous l'avons fait une fois tous les deux à l'automne et nous dûmes marcher à travers les chaumes. Mais avec Karl (Liebknecht), au mois d'avril précédent, c'était le matin, et les champs étaient tout couverts du vert tendre des semences d'hiver. Un vent tiède chassait par rafales les nuages gris du ciel et tantôt les champs brillaient sous le soleil, tantôt ils prenaient une teinte plus sombre, vert émeraude; c'était un jeu superbe d'ombre et de lumière, et nous marchions en silence. Soudain Karl s'arrêta et commença à faire des bonds étranges en gardant un visage sérieux. Je l'observais, étonnée, et même un peu effrayée. "Qu'avez vous ?" "Je suis heureux", répondit-il simplement. La-dessus, naturellement nous rîmes comme des fous.
Je sais, le monde a changé et à d'autres temps, d'autres chansons. Mais justement, des "chansons"; la plupart de nos gribouillis ne sont pas des chansons, mais un bourdonnement incolore et sourd comme le bruit de la roue d'une machine. Je crois que la cause réside en ce que les gens oublient pour la plupart quand ils écrivent de puiser au plus profond d'eux-mêmes et de ressentir toute l'importance et toute la vérité de la chose écrite. Je crois que chaque fois, chaque jour, pour chaque article, on doit revivre la chose, la ressentir de nouveau, et on trouve alors des mots neufs, qui vont droit au cœur pour exprimer ce que l'on connaît depuis longtemps.
Sur ma tombe, comme dans ma vie, il n'y aura pas de phrase grandiloquente. Sur la dalle de mon tombeau, on ne devra lire que deux syllabes : “zwi-zwi“. C'est le cri des mésanges charbonnière que j’imite si bien qu’elles accourent aussitôt.
Il est bien évident que le parti et l'Internationale sont foutus, complètement foutus, mais c'est précisément l'ampleur grandissante du désastre qui en fait un drame historique mondial, qui ne peut plus être confronté qu'à un jugement historique objectif et rend déplacés les gestes personnels de mauvaise humeur – inutile de s'arracher les cheveux.
Ma chérie, quand on a la mauvaise habitude de chercher une gouttelette de poison dans toute fleur éclose, on trouve, jusqu’à sa mort, quelque raison de se lamenter. Prends donc les choses sous l’angle opposé et cherche du miel dans chaque fleur : tu trouveras toujours quelque raisons de sereine gaieté.
Une occasion de découvrir les dernières parutions de leur collection Les Plis, avec 6 nouveaux titres.
La nuit est couleur, Vincent Van Gogh
Sur le bon usage des mauvaises santé, Marcel Proust
Dans l’ombre des choses, Stefan Zweig
Une heure de littérature nouvelle, Arthur Rimbaud
Nos têtes audacieuses, Louisa May Alcott
Le bonheur au coin de la rue, Rosa Luxemburg