C'est tout d'abord la jolie couverture de ce roman qui a attiré mon regard : j'ai tout de suite reconnu l'empreinte de l'illustratrice Phileas Dog du très beau premier roman de l'auteur
Olivier Mak-Bouchard, «
le dit du Mistral ».
On retrouve dans cette illustration une même continuité dans le choix des couleurs, des formes douces et arrondies. J'ai trouvé que ce beau décor de pinèdes aux couleurs ensoleillées dégageait un charme très provençal, des senteurs résineuses et boisées. Et en même temps, la présence d'une multitude de frelons proches de leur nid amène une notion de menace, d'incertitude.
Le titre aussi évoquait pour moi des notes douces-amères, la beauté de la nature et le temps orageux qui s'annonce.
Je ne pouvais pas passer à côté de ce roman apprécié par plusieurs Babel-ami.es.
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Je n'ai pas été étonnée que l'intrigue se déroule dans le sud de la France, dans le Lubéron, terre du premier roman d'
Olivier Mak-Bouchard.
Trois enfants voient leur monde bouleversé par des évènements étranges et inexplicables : du jour au lendemain, les appareils photographiques cessent de fonctionner correctement. Les photos sont vides de toute présence humaine.
C'est à travers le regard d'un des enfants que le lecteur assiste à ce phénomène insolite qui fait beaucoup parler.
« Mme Philibert (la maîtresse) nous avait expliqué que les hommes vivaient maintenant trop vite, qu'ils allaient plus vite que la lumière, et que du coup les appareils photo n'arrivaient plus à suivre, qu'ils étaient perdus les pauvres, qu'ils n'avaient plus envie de nous tirer le portrait. »
Mais ce phénomène extraordinaire ne va pas s'arrêter là : un beau jour, le nuage contenant la mémoire de nos ordinateurs et de nos serveurs, saturé par trop de datas, laisse pleuvoir les premières personnes photographiées.
« … ces gens … sont quelque chose d'autre, de nouveau, qu'on n'a jamais vu. Quelque chose qui est né au moment de leur prise de vue, et qui revient aujourd'hui. »
Surnommées "les Grêlons", ces personnes venues du passé enthousiasment et passionnent la population, surtout lorsque des célébrités et de grands hommes sont renvoyés du nuage.
« Je suis sûre que nous allons communiquer avec eux, ils ont tant de choses à nous apprendre, en histoire, en sociologie, en ethnographie. Vous vous rendez compte, tous les … Amérindiens qui ont disparu aujourd'hui et dont nous ne savons presque rien, leurs grêlons vont pouvoir nous donner des témoignages uniques. »
Mais très vite, avec l'invention du daguerréotype, des premiers studios de photographie, puis la démocratisation des appareils photos au milieu du XXème siècle, les retombées de "grêlons" se multiplient et leur nombre devient préoccupant.
Que faire de tous ces grêlons qui atterrissent, le regard hébété, perdu, vide ?
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Le talent d'
Olivier Mak-Bouchard est de nous emporter dans un monde réaliste et crédible, tout en mâtinant son récit d'une pointe de réalisme magique.
Enfants au moment des faits, on voit les trois personnages principaux de l'histoire grandir et devenir de jeunes adultes. On voit leur amitié évoluer. Dans ce contexte incertain, ces incidents ont bien sûr un impact sur leur vie.
L'un des points forts du roman est la capacité de l'auteur à conter l'histoire simple de gens ordinaires dans un monde qui se révolte.
L'auteur a su rendre le jeune narrateur, dont le prénom n'est connu que dans les toutes dernières pages du roman, particulièrement attachant. On entre dans l'esprit d'un enfant rêveur et introverti qui a des soucis scolaires importants.
Ses deux amis sont très différents, permettant d'autres regards sur les évènements.
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La construction du scénario est très originale par des ruptures dans la trame du récit : l'auteur intercale des courriers administratifs qui apportent une dimension encore plus réaliste, concrète. Je me suis demandée à quoi servaient ces échanges de mails, mais on le comprend à la toute fin.
A cela s'ajoute une belle surprise dans la toute dernière page du livre, le récit du narrateur étant enchâssé dans celui d'un autre. Pour s'en rendre compte, il faut absolument lire jusqu'à la toute dernière page intitulée « Achevé d'imprimer ».
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L'écriture d'
Olivier Mak-Bouchard est très plaisante : sa prose est simple, fluide, et crée une ambiance immersive et plausible.
C'est tout d'abord des sensations de fraîcheur et d'humour qui m'ont fait apprécier ce roman. Mais il se dégage aussi des saveurs que j'apprécie beaucoup dans mes lectures, une écriture poétique et introspective.
L'auteur aime pailleter son récit de références à des auteurs. Ainsi, dans "
Le temps des grêlons", la poésie d'
Arthur Rimbaud se mêle au scénario.
« Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux ! »
Extrait de Soleil et Chair,
Arthur Rimbaud, 24 mai 1870
Ce que j'ai particulièrement apprécié dans ce récit, c'est que le style est en totale adéquation avec l'âge du narrateur : le ton est donc enfantin, parfois naïf, sans être niais pour autant. On ne peut que sourire à certaines de ses pensées.
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Entre le conte initiatique et fable humaniste et politique, l'auteur se livre à une réflexion subtile sur les thèmes autour de l'amitié, de la famille, et du difficile passage à l'âge adulte en ces temps incertains.
Mais l'auteur va plus loin, en abordant des sujets plus graves, sans pour autant être donneur de leçon : ils tournent autour de notre société et de notre mode de vie, de notre humanité et de ce qui nous définit comme des individus, de la haine et de l'individualisme, des libertés et de la montée des extrémismes.
Il m'a rappelé en cela « Zombies » et « Calamity Zombie » de Bouffanges, les deux auteurs abordant les questions relatives à l'autre, à l'acceptation de la différence, à leur intégration ou leur assimilation dans la société. Ils nous interrogent par là même sur les notions de responsabilités individuelles et collectives, de même que leurs implications morales.
« … ça devient vraiment n'importe quoi. C'est tous les jours des problèmes avec les Grêlons, tous les jours, on n'est jamais tranquilles. Un jour, c'est un atterrissage du Nuage sur les voies du métro, le lendemain, ce sont des Grêlons coincés dans les escalators. C'est bien simple, ça n'arrête jamais. »
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Pour conclure, "
Le temps des grêlons" est un récit original teinté de réalisme magique qui nous emporte dans une histoire d'amitiés touchante, tout en faisant passer des messages forts. En effet, c'est une jolie métaphore sur les dérives de nos sociétés, sur l'intolérance et la haine de l'autre, celui qui est différent, plus faible.
Un beau second roman à découvrir.