Citations sur Le livre des brèves amours éternelles (116)
L'endoctrinement que nous subissions, souvent sans nous en rendre compte, avait pour base la haine d'une large catégorie des humains hostiles au bien-être de notre pays.
Notre professeur déchiffra l'arrière-pensée et se hâta de nous venir en aide pour ne pas nous laisser sombrer dans l'apostasie.
Apostasie : abandon (d'une doctrine, d'une opinion, d'un parti). Synonymes : reniement.
Tous ce gens que tu veux rendre heureux dans le futur, qu'est-ce qui les empêche de le devenir maintenant ?
Sa révolte est née de ce violent désir d'identité dans un monde qui faisait tout pour imposer une vie collective, nivelée et qu'il appelait "égalité sociale". Adolescente, elle constatait que cette égalité signifiait un labeur abrutissant pour un salaire de misère, l'entassement à plusieurs familles dans un appartement communautaire.
"Tu vois, tout le délire du système communiste est concentré là, me disait-elle au début de notre traversée. Un verger cyclopéen dont le but est purement idéologique : réussir la plantation la plus vaste du monde. Le triomphe de l'agriculture collectiviste ! Et ce n'est pas tout. Ces pommiers sont plantés d'une façon particulière. Lorsque les vieux crocodiles du Kremlin arrivent de Moscou ou de Kiev, de leurs limousines, ils voient une étendue blanche ininterrompue, car les arbres, comme tu peux le constater, sont serrés les uns contre les autres...
- C'est plutôt joli...
- "Joli!" Comme tu y vas! Non mais toi, tu n'as pas grandi : dix ans d'âge mental, et ça depuis le temps où nous étions tous deux à l'orphelinat... "Joli" ! Sache, mon pauvre ami, que ce verger est complètement improductif. Aucune abeille ne voudra se taper dix kilomètres pour voler jusqu'au centre de cette plantation délirante. Du coup, les fleurs sont privées de pollen et les arbres ne fructifient pas. Cette pommeraie idéale ne donnera jamais de pommes, elle est stérile! Exactement comme le régime sous lequel nous avons le malheur de vivre.
Restent seuls, à présent, la lumière de mars, le souffle enivrant des neiges sous l'éblouissement des rayons, le bois d'un vieil embarcadère, ces planches chauffées par le une longue journée de soleil. Reste la touche claire d'une robe, sur le perron d'une maisonnette en rondins. Et le geste d'une main qui m'envoie ses adieux. Je marche, m'éloigne, me retourne tous les cinq pas et cette main est toujours visible dans le crépuscule de printemps, mauve et lumineux.
Reste ce paradis fugace dont l'éternité n'a pas besoin de doctrines.
Quand, très rarement hélas, il m'arrive de croiser deux vieux êtres aussi incontestablement emplis de tendresse, j'imagine toujours leur vie comme un long cheminement par une journée d'hiver ensoleillée et limpide, une grappe de raisin doré à la main.
Nous sommes heureux ici, reconnais-le. Nous sommes heureux parce que l'air sent la neige et le printemps, parce que le soleil a chauffé les planches, parce que... Oui, parce que nous sommes ensemble.
Très tôt il devine que toutes les sociétés fabriquent la même espèce de créature : celles qui avec une servilité zoologique ne pensent qu’à s’alimenter, se reproduire, à s’incliner devant les forces de l’Etat qui les enchaîne dans des besognes décérébrantes, les assomme avec des ersatz de culture... »
"La désagréable impression de copier les autres était renforcée par la dépendance au plaisir, pareille à celle que provoquent les drogues. Il nous fallait augmenter les doses, resserrer la fréquence de nos ébats, et nos corps se dérobaient, éreintés, comme ceux des papillons nocturnes ivres de lumière. Venait alors ce constat qui, chaque nuit, nous blessait de sa banale et cinglante vérité: le plaisir ne vise que lui-même, étant un merveilleux but en soi. Une boucle répétitive, vertigineuse, exténuante, savoureuse, parfumée de à l'odeur d'une peau halée et salée, incurvée par des muscles durcis de longues nages quotidiennes, pimentée de plats brûlants, d'un épais au goût de noix, un envol haletant vers la jouissance et une dégringolade, en vrille, dans l'abîme des draps saturés d'embruns, sous une étoile si proche au milieu des branches d'un grenadier. Une enivrante boucle sans issue."p.106