p. 40-41
Je ne veux pas, dit Elise, croire que l’amour soit une des formes du mal.
Cependant, reprit Salèze, presque toute la joie cérébrale que peut donner l’amour vient de là, d’un obscur sentiment du mal faire, de violenter sa propre pudeur et celle d’autrui, de se livrer à un acte secret, de procéder à ces « chose déshonnètes » dont parlent les manuels de piété, déshonnètes, c’est-à-dire non conforme à la loi, des péchés enfin. Comment deviendrions nous des hommes, s’il n’y avait pas de péchés, pas de lois ? L’homme n’est homme qu’à l’heure où il dérange l’ordre, et il n’est libre qu’à ce prix, et il n’a pas d’autre moyen d’affirmer sa liberté. La révolte des mauvais anges est la seule preuve théologique de la liberté des créatures. Pareillement les lois humaines ne sont justifiées que par les rebelles. Les crime est la base unique des sociétés, car des hommes purement conformes à la règle constitueraient une horde de bêtes et non une société. Il faut des crimes, puisqu’il faut des lois ; et il faut des lois, pour que le crime soit possible et que l’homme se rende parfois digne de son nom. Il faut des choses défendues. Multiplier les défenses, c’est multiplier les occasions de joies pour les êtres forts. Mais c’est dans la violation des lois de l’instinct que l’on la joie suprême, et, l’amour étant l’instinct le plus impérieux, si l’on veut qu’il soit le plaisir le plus grand, il faut le nier comme instinct et l’affirmer comme révolte.
p. 56 Salèze n’était ni poète, ni artiste ; il n’avait jamais écrit, sinon de personnelles analyses, à peine transposées selon l’instinctif souci, pour un homme délicat, de fuir grossièreté et le ridicule des aveux directs et des plaintes sincères. Ecrivain de métier – et on n’est écrivain que de métier – il eût méprisé d’abord la sincérité, mérite des simples, gloire des miroirs ; si, en effet, la littérature a une fonction, cette fonction est le mensonge et, pour bien mentir aux autres, il faut premièrement se mentir à soi-même. La pratique de la vie exige l’application des mêmes principes ; seuls, pensait-il, les naïfs donnent leur opinion ; les sages, c’est- à-dire les intelligents, donnent un opinion, une de celles qui dorment, en attendant la fête, dans l’inépuisable cave de l’opulente logique. Car, s’il faut vivre, il faut vivre libre, - et quelle plus affreuse prison qu’un conviction, quel plus terrible bagne qu’une croyance ?
La foi, il est vrai, donne la sécurité, - donne à manger, à boire et à dormir : il y a des mendiants intellectuels qui « entrent en croyance », comme à l’approche de l’hiver, des vagabonds, par un méfait bien calculé, entrent en prison pour y attendre, à l’abri du gel, les jours clairs et les heures des belles randonnées. Les uns et les autres sont des faibles et des tristes, - synthèses de l’humanité, pour qui la liberté est l’horreur suprême et le fléau définitif.
p. 46 [Salèze] Si des spectateurs se passionnent à des incidents qui nous paraissent d’une damnable mesquinerie, c’est que, pour eux, doués de simples facultés végétatives, ces incidents, tout minuscules, ont l’importance du rare et de l’exceptionnel. Ils sont émus par la dramaturgie baveuse d’Augier, comme nous par les dialogues philosophiques d’un Ibsen, et les romances de M. Déroulède leur donnent une impression esthétique aussi forte qu’à nous les sonnets de M. Mallarmé. Tout est relatif. Pénétrez vous de cette vérité. Méprisez les imbéciles, mais ne méprisez pas le plaisir des imbéciles.
p. 49 [Salèze] Chaque mot a non pas seulement deux sens, l’un direct, l’autre métaphorique ; chaque mot à plusieurs centaines, plusieurs milliers de significations différentes. Comprendre, c’est choisir une signification parmi ce millier : c’est cueillir une fleur sur l’amandier tout épanoui.
p. 22 Après dîner ils remontaient le boulevard Saint-Michel parmi les étudiants dont la gaieté stérile taquinait l’avidité des jeunes femelles. Il y avait si peu sensualité vraie dans ces rapides fiançailles qu’un pensionnat innocent en eût remontré à tous ces groupes dans l’art des frôlements tièdes et des regards voluptueux. C’était la jeunesse dans toute sa glorieuse bêtise, faisant l’amour comme on apprend à nager, exerçant ses muscles et d’abord ceux de la parole et du cri, particulièrement estimé chez les peuples libres.
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La fin du XIXe siècle est marquée par une série d'attentats anarchistes. Ces actes récoltent le soutien d'écrivains d'avant-garde comme Paul Adam, Octave Mirbeau et Rémy de Gourmont. Ces affinités avec l'anarchisme étonnent, venant d'écrivains résignés et élitistes qui rejettent la politique au profit de la littérature. Cet ouvrage examine l'influence qu'a exercée l'imaginaire de la décadence sur ces écrivains. Véritable mythe de la fin du siècle, la décadence donne naissance à une esthétique littéraire : le décadentisme. Mais elle agit également sur les anarchistes, qui y voient l'occasion de faire émerger une société nouvelle. Cette analyse jette ainsi un regard nouveau sur les liens entre politique et littérature. La bombe et le livre se superposent, l'utopie anarchiste et l'imaginaire décadent se télescopent. Ce cocktail détonnant laisse entrevoir une intense période de création littéraire et d'ébullition politique. Il questionne les représentations du progrès et de l'histoire, et signale l'émergence de l'artiste d'avant-garde, révolutionnaire en art et en politique.
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Crédit : Rudy Matile, la prise de son, d'image et montage vidéo
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