Le garçon de
Marcus Malte me semble écrit d'une de ces tours d'ivoire d'où on méprise en bloc le commun et le nombre, et d'où on valorise, a priori, tout ce qui est marginal ; car il est notoire qu'il n'y a ni bonté ni beauté en société, comme il ne peut y avoir malveillance chez un marginal. C'est un roman au style précieux et ostentatoire. Je veux dire : autant
le garçon éponyme est un enfant sauvage mutique et sans instruction, autant est manifeste la grande culture de l'auteur. On croirait presque qu'il avait internet et wikipédia à portée de main pendant l'écriture.
Le garçon est un animal. Il mange, il boit, il dort, il copule.
le garçon n'a pas de nom. Il ne parle pas.
le garçon est un archétype, il est l'idéal platonicien du garçon, convoqué dans la fiction. Peut-être un fantasme narcissique de l'auteur?
La fille s'appelle Emma, comme chez
Flaubert, nous dit le narrateur. Il m'est arrivé d'entendre parler de la bêtise dans l'oeuvre de
Flaubert, mais le personnage le plus bête chez
Flaubert, ce n'est pas Bouvard, ou Pécuchet, ou Charles, c'est quand même Emma, et de loin. Effectivement, l'Emma de
Marcus Malte me semble stupide, mais je ne sais pas si c'était voulu.
« Doute-t-on de la parole d'une femme amoureuse - et chevalière qui plus est? » dit le narrateur. Et de la parole d'un homme amoureux, c'est différent? Elle lui dit : si tu me trompes, je la tue, je te castre, et puis je me tue. Des menaces de violences conjugales, typique d'une femme amoureuse.
La fille parle trop, pendant des pages et des pages de monologue inepte, et
le garçon ne parle pas. du coup, ils se rejoignent dans la même vacuité.
1914, mobilisation,
le garçon s'engage. La fille est catastrophée, « elle ne comprend pas. Mais
le garçon serait-il doué de parole qu'il ne pourrait pas mieux lui expliquer. Les hommes font la guerre : il n'y a pas d'autre explication. » Ben oui, c'est la théorie du genre de l'époque - ou de l'auteur - : ces choses-là sont innées. Ou alors ce serait parce que c'est elle qui a fait son éducation, et lui a appris à être un homme. Enfin, éducation... comme
le garçon ne parle pas et n'est pas doué pour l'apprentissage de la lecture, elle a vite laissé tomber ses efforts pour l'instruire : elle préférait coucher avec lui. C'est une vieille fille qui recueille un adolescent orphelin et le met dans son lit, un peu comme chez
Molière dans l'École des Femmes, mutatis mutandis.
Le voilà sur le front. Après un premier contact avec l'ennemi où, sous l'effet de l'adrénaline,
le garçon s'acharne sur le crâne d'un Boche à coups de pelle, il met à profit l'instinct de chasseur de son enfance sauvage pour devenir un tueur de la nuit froid et silencieux.
Alors, à un moment, je me pose la question : la fille et
le garçon sont-ils vraiment sensés être des personnages positifs et/ou sympathiques?
Rien pour me plaire, dans ce livre, beaucoup pour m'agacer. Mais bon, je suis allé jusqu'au bout.