Valerio Manfredi est un spécialiste de l'antiquité. C'est là qu'il s'est le plus exprimé dans ses romans. En pivot, il y a cette trilogie sur
Alexandre le Grand qu'il était grand temps que j'explore. C'est Fifrildi qui m'a mis le pied à l'étrier en lisant avec moi. Je l'en remercie infiniment.
Cette première partie, qui démarre de sa naissance et finit à l'orée du débarquement en Perse, mélange agréablement l'imaginaire de l'auteur avec les faits historiques tels qu'il est allé les collecter entre autres chez les auteurs antiques. J'ai d'ailleurs parfois des doutes concernant certains passages dont je ne sais pas s'ils sont avérés ou inventés. Par exemple lorsque Olympias, la mère d'Alexandre, dépose une couronne de fleur autour du cou du cadavre de l'assassin de son époux Philippe II. Mais se poser ces questions ne nuit pas au déroulement du récit, très fluide.
Il règne une atmosphère de légende autour du futur conquérant : des présages, des rêves où les dieux interviennent, des réponses de la Pythie de Delphes dont on ne comprend la teneur que trop tard, une scène dionysiaque qui m'a fortement rappelé la pièce d'
Euripide «
Les Bacchantes ». On a presque un pied dans la mythologie ; la guerre de Troie est d'ailleurs omniprésente dans le récit, même si elle est considérée ici comme de l'Histoire.
Le récit privilégie quelques personnages tout en nous en présentant une flopée qui n'ont pas vraiment de profondeur et représentent seulement ce que l'Histoire sait d'eux. C'est un peu dommage concernant les « chevaliers de la Table Ronde » d'Alexandre, sa bande d'amis indéfectibles qui l'accompagneront au bout du monde : Lysimaque, Héphestion, Ptolémée, etc. Mais il y a déjà tellement à dire sur ceux qui sont plus approfondis. Alexandre a le rôle principal, bien sûr. L'auteur insiste beaucoup sur sa double nature : l'affamé de connaissances et de culture formé au raisonnement par
Aristote et le guerrier capable de céder à d'immenses colères du genre berserk. L'auteur le dédouane toutefois de la destruction de Thèbes. Selon lui la décision est venue du conseil de la ligue des anciennes villes dépendantes de Thèbes. Information historique ou conjecture ?
Son père Philippe II suit un petit cran derrière. On apprécie son sens politique, on saisit son ambition mais aussi son côté amateur de boisson et de femmes.
Valerio Manfredi présente une évolution père-fils très nette au cours des années, d'une profonde confiance vers une tension. J'ai trouvé intéressant de voir Alexandre perdre ses repères quand il apprend que la nouvelle épouse de son père donnait naissance à un fils. La fierté de part et d'autre provoque un clash qui aurait pu être définitif.
Olympias est un autre personnage fascinant. Elle forme à elle seule une sorte d'opposition à Philippe. Elle protègera son rejeton quel qu'en soit le prix ; l'auteur n'hésite pas à la comparer à Clytemnestre et à
Médée, c'est dire.
Et bien sûr, il y a
Aristote. Il est ici la raison incarnée en homme et fait même acte d'enquêteur type
Sherlock Holmes. le passage de la formation d'Alexandre à Mieza était riche d'enseignement pour moi.
En joker, on apprend qu'Alexandre avait un « double » conquérant de l'occident. Alors qu'il part conquérir l'Asie, son oncle Alexandre d'Épire part du côté de l'Italie. J'ignorais tout de ce personnage qui mériterait son propre roman.
Valerio Manfredi prend le temps de décrire l'architecture, les costumes, les repas. C'est toute une époque qui prend vie. Les scènes de bataille sont bien rendues, même s'il leur manque un peu du dramatique du combat vu « de l'intérieur » (ma référence ici est
Paul Kearney et sa trilogie des Macht).
Je ressors très satisfait de cette lecture qui n'est encore qu'un hors d'oeuvre. J'espère que la suite sera aussi fascinante. Mais j'ai peu de doutes vu le talent et les connaissances de l'auteur.