Henning Mankell délaisse provisoirement son commissaire favori et vieillissant pour donner ici toute sa place à un nouvel enquêteur : Stefan Lindman. Et, n'en déplaise aux inconditionnels regrettant déjà le commissaire Kurt Wallander, on peut affirmer tout de go que Stefan Lindman s'en sort haut la main ! Beaucoup plus jeune, celui-ci insuffle me semble-t-il un regain de dynamisme et une détermination sans faille dans le déroulement de l'enquête. Pourtant, jusqu'au bout, il hésite et temporise en se demandant s'il ne va pas tout plaquer pour faire du tourisme au soleil, car (c'est dit dès la 4ème de couverture, donc je ne trahis rien en l'écrivant) il vient d'apprendre qu'il a un cancer et qu'il n'a peut-être que quelques mois à vivre. Ouf ! On est quand même chez Mankell, l'optimisme et la fraîcheur juvénile de l'inspecteur peuvent donc laisser place à un certain désenchantement, voire à un état dépressif et une baisse de forme physique nuisant à l'efficacité de l'enquête ! Pour Stephen Lindman, en congés et dans l'attente de son traitement, cette enquête est surtout le moyen d'oublier son cancer et d'échapper à l'angoisse d'une thérapie qu'il redoute.
Stephen Lindman, nouvel héros mankellien donc, évolue dans l'univers de Wallander, même si ce dernier n'apparaît pas. L'inspecteur Stephen Lindman demandera sa mutation pour le commissariat d'Ystad dans
Avant le gel, où il se liera d'amitié avec Linda, la fille de Kurt Wallander (bien que publiée avant
le retour du professeur de danse en France, l'histoire racontée dans
Avant le gel est située chronologiquement après). de plus, sous la forme d'un clin d'oeil qui n'aura pas échappé aux fans de Mankell, une allusion au Guerrier solitaire apparaît au détour de l'interrogatoire d'un témoin.
Sur la forme et la construction du roman, nous sommes comme toujours assez vite informés de l'identité du coupable (il faudra tout de même attendre la deuxième partie qui met en scène le criminel). Pourtant, le mystère reste épais car un second crime vient obscurcir le canevas désormais classique, et sur ce second crime, nous ne saurons pratiquement rien avant le dénouement final.
Sur le fond, ce livre est une dénonciation en règle, comme souvent chez Mankell, d'une dérive de la société suédoise actuelle, ici, la résurgence des organisations néonazies. Mankell rappelle que la Suède a joué un rôle ambigu au cours de la seconde guerre mondiale, affichant une fausse neutralité, et que beaucoup de suédois revendiquaient une sympathie non déguisée pour les thèses hitlériennes, certains allant même jusqu'à s'engager dans l'armée allemande. Ce thème semble fasciner de nombreux auteurs scandinaves, la Norvège ne faisant pas exception à la règle (voir
Rouge-Gorge de
Jo Nesbo qui développe une problématique semblable). Et les démons du passé sont encore bien présents, même s'ils restent provisoirement cachés sous la surface. La métaphore du nid de cloportes, citée plusieurs fois, est à ce titre édifiante.
Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce polar un excellent thriller, parfaitement adaptable à l'écran, mixant de manière intelligente l'action et la réflexion. Scénario en béton, description des lieux et des décors, personnages attachants et profondément humains, mystère et suspense renouvelés, intérêt historique, dénonciation politique : il existe de nombreuses raisons d'aimer ce livre. Avec son sens particulier des anecdotes, Mankell, on le savait déjà, ose tout, il arrive ici à surprendre encore (et je ne donnerai aucun exemple, m'enfin !). le maître est de retour, entrez vous-même dans la danse !