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Citations sur Les Buddenbrook : Le déclin d'une famille (64)

Le consul dit à sa femme ;
- Si je savais que la répugnance de Tony pour ce mariage reposât sur quelque raison grave... Mais c'est une enfant, Bethsy, elle est avide de plaisirs, danse dans les bals, se laisse faire la cour par les jeunes gens et y prend goût,car elle se sait jolie et de bonne famille... Peut-être a-t-elle quelque idée en tête, en secret et inconsciemment ; mais je la connais, elle n'a pas encore, comme on dit, découvert son coeur , il s'en faut... Si on l'interrogeait, elle tournerait la tête de droite et de gauche, réfléchirait... mais il ne lui viendrait aucun nom à l'esprit... C'est une enfant, une tête de linotte, un étourneau... Si elle dit oui, elle sera casée ; elle pourra s'installer gentiment, selon ses goûts, et peu de temps lui suffira pour lui faire aimer son mari... Ce n'est pas un Adonis,non, mon Dieu ! non, ce n'est pas un Adonis... mais il n'en est pas moins extrêmement présentable et l'on ne saurait, en fin de compte, exiger le mouton à cinq pattes, permets-moi cette expression commerciale... Si elle veut attendre de rencontrer quelqu'un qui soit une beauté et, par surcroît, un bon parti... A Dieu ne plaise ! une Tony Buddenbrook ne restera pas pour compte.. Au demeurant, c'est toujours une chance à courir, et, pour employer encore la langue du commerce, la pêche est bien ouverte tous les jours, mais ce n'est pas tous les jours que le poisson mord...
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Un dimanche matin, à neuf heures, le consul était assis dans la petite salle à manger, près de la fenêtre, devant le grand bureau brun dont il avait rejeté en arrière le couvercle bombé, au moyen d'un mécanisme ingénieux. Un épais portefeuille de cuir bourré de papiers était posé devant lui ; penché sur un cahier à couverture gaufrée et à tranche dorée, il s'affairait à écrire, de son écriture mince, précipitée et minuscule, ne s'interrompant que pour tremper sa plume d'oie dans le lourd encrier de métal.
Les deux fenêtres étaient ouvertes et, du jardin où un doux soleil brillait sur les premiers bourgeons, tandis que de frêles voix d'oiseaux se donnaient vivement la réplique, montait l'air printanier chargé d'arômes frais et tendres ; à son haleine, les rideaux, de temps à autre, se soulevaient doucement et sans bruit. En face, sur la table du déjeuner, le soleil ruisselait sur la nappe éblouissante, parsemée de miettes, et se jouait en reflets virevoltants et bondissants sur les ors des tasses en forme de mortier...
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Thérèse Weichbrodt était bossue, tellement bossue, qu'elle dépassait à peine la hauteur d'une table. Elle avait quarante et un ans, mais, n'ayant jamais attaché d'importance aux agréments extérieurs, elle allait vêtue comme une dame quasi septuagénaire. Sur ses anglaises grisonnantes, bouffant aux oreilles, était juché un bonnet dont les rubans verts retombaient jusqu'à ses étroites épaules d'enfant, et jamais on n'avait vu sur sa pauvre petite robe noire quelque chose qui ressemblât, même de loin, à une parure, si ce n'est la grande broche ovale où était peint sur porcelaine le portrait de sa mère.
La petite Mlle Weichbrodt avait des yeux marrons fins et aigus, un nez légèrement busqué et des lèvres minces qui, serrées comme elle savait le faire, prenaient une expression d'opiniâtre volonté. Il y avait en général répandue sur sa personne infime et dans tous ses mouvements, une énergie qui, pour être comique, n'en commandait pas moins le respect. Son langage y contribuait grandement. Elle parlait avec des mouvements vifs et saccadés du maxillaire inférieur, un hochement de tête bref et impressionnant ; elle s'exprimait dans une forme châtiée et pure de tout dialecte, avec clarté, précision, en accentuant chaque consonne. Avec cela, elle exagérait à tel point la prononciation des voyelles que les "ou" devenaient des "o" ou même des "a", et que ce n'était pas "Bobby", mais "Babby" qu'elle appelait son enragé jappeur de chien. Quand elle disait à une élève : "Onfont, ne sois pas si satte", tout en frappant sur la table de son index crochu, l'effet produit était indéniable ; et quand Mlle Popinet, la maîtresse de français, sucrait trop copieusement son café, Mlle Weichbrodt vous avez une telle façon de considérer le plafond et de pianoter d'une main sur la nappe, en disant : "Si j'étais que de vôs, je prondrais tout le socrier !" que Mlle Popinet en devenait cramoisie.
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Pourtant la fin était venue. Ce bonheur chantant et scintillant s'était tu, éteint ; il s'était retrouvé chez lui, dans sa chambre, la tête enfiévrée, et s'était aperçu que quelques heures de sommeil dans son lit le séparaient de la grisaille quotidienne. Alors il avait succombé à l'un de ces accès de découragement total qu'il connaissait si bien. Il avait éprouvé à nouveau que la beauté fait mal, senti à quelle profondeur de honte et de nostalgie désespérée, elle nous plonge et comment elle anéantit le courage et la faculté même de vivre l'existence vulgaire. Ce sentiment horrible et désespérant l'avait écrasé comme un bloc massif, et il s'était redit que, en dehors de ses chagrins personnels, un fardeau devait peser sur lui qui, d'emblée, avait alourdi son âme et qui l'étoufferait un jour.
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Tous deux regardaient les glauques murailles des vagues enchevêtrées d'herbes marines, qui s'avançaient menaçantes et se fracassaient sur le bloc de pierre dressé contre elles... dans ce tumulte confus, éternel, qui stupéfie, vous laisse sans voix et supprime jusqu'au sentiment de la durée.
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Lui, dont il avait espéré qu'il continuerait d'une main plus heureuse et plus libre l'œuvre de sa vie, devait-il, en face de toute la société où il était appelé à vivre et à agir, et même en face de son propre père, se dressé en étranger séparé d'eux tous par sa vie intérieure ?
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L'absence de tout intérêt profond et vif, l'appauvrissement et le délabrement de son âme __délabrement qui se faisait sentir presque continuellement comme un chagrin obscur et pesant, un sentiment de nécessité inexorable et la résolution tenace de sauvegarder à tout prix sa dignité, de dissimuler sa déchéance par tous les moyens et de sauver les apparences, avait ainsi transformé son existence, l'avait rendue artificielle, consciente, contrainte au point que tout mouvement, toute parole, la moindre de ses actions parmi les hommes était devenue une comédie fatiguante et épuisante.
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Dans la vie une proposition nous impatiente et nous irrite d'autant plus que nous doutons de notre propre résistance et que nous sommes secrètement forts tentés de céder.
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[...] te rappelles-tu, tu m'as dit :"Il me semble qu'une ère toute nouvelle va s'ouvrir!" C'est comme si je t'entendais encore, et les évènements ont paru te donner raison, car aux élections au Sénat la fortune m'a souri, et, ici, la maison s'élevait à vue d'oeil. Mais la dignité de sénateur et la maison ne sont qu'apparences, et je sais,moi, une chose à laquelle tu n'as pas encore songé; je la tiens de la vie et de l'histoire. Je sais que, souvent, au moment même où éclatent les signes extérieurs, visibles et tangibles, les symptômes de bonheur et de l'essor, tout déjà s'achemine en réalité vers le déclin. L'apparition de ces signes extérieurs demande du temps, comme la clarté d'une de ces étoiles dont ne nous savons pas si elle n'est pas déjà sur le point de s'éteindre, si elle n'est pas déjà éteinte, alors qu'elle rayonne avec le plus de splendeur....
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Mais ton moral, de quoi souffre-t-il ? demanda-t-elle ? avec un étonnement mêlé de frayeur. On supposerait pourtant que tu as tout ce qu'il faut pour être heureux., Tom ! Clara vit encore... tout s'arrangera avec l'ai de Dieu ! Et quant au reste... vois, ce beau jardin où nous nous promenons, il est à toi ; sens -moi tous ces parfums ; et voici ta maison, un rêve ! Hermann Hagenstroem habite une cahute, en comparaison ! C'est ton oeuvre que tout cela !...
- Oui, Tony, c'est presque trop beau. Je veux dire : encore trop neuf. Je m'y sens encore un peu désorienté ; c'est sans doute la cause de cette dépression qui m'obsède et me nuit en toutes choses. Je m'en étais été fait une grande joie, mais ce plaisir anticipé a dépassé comme toujours celui de la possession, car le bonheur vient toujours trop tard, se réalise toujours trop tard, alors qu'on n'en peut plus jouir véritablement...
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