Les pays du froid m'attirent de plus en plus. Je trouve leurs paysages emplis de magie et de poésie, de force et de grâce, ils s'accordent à mon âme rêveuse. J'aime ces magnifiques drapés de blanc à la beauté presque irréelle qui forment un contraste saisissant avec la pierre volcanique noire et rugueuse aux accents lugubres et hostiles.
Alors ces histoires qui m'emmènent dans ces immensités glacées me ravissent.
«
Krummavísur », troisième opus de la trilogie islandaise de
Ian Manook, fait suite à «
Heimaey » et «
Askja ». Je n'avais pas encore abordé ce cycle et je n'aime pas lire les séries dans le désordre mais lorsqu'on m'a proposé la lecture de ce policier dans le cadre d'une masse critique, je n'ai pas hésité bien longtemps je l'avoue, et j'ai espéré secrètement le recevoir. Je remercie très sincèrement Babelio et les éditions Flammarion pour leur envoi.
C'est donc sans rien connaître les deux premières enquêtes que je suis partie à la rencontre de l'enquêteur peu conventionnel Kornelius Jokobs. En définitive, je n'ai pas été gênée, l'auteur dit l'essentiel pour que le lecteur ne soit pas perdu et ait envie de revenir sur les deux premiers volumes.
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Krummavísur est une chanson appartenant au folklore islandais, une complainte triste qui raconte l'histoire d'un corbeau gelé et affamé pris dans la tempête.
1995 – Un petit avion survole en pleine tempête le Vatnajökull, le plus grand glacier d'Islande. En difficulté, il s'écrase sur le glacier avec à son bord, le pilote et un passager menotté à une mallette.
« le corbeau s'est endormi dans une fissure
Dans la nuit noire et sa froidure »
2002 – Deux hommes encordés sur l'Helka, le volcan le plus actif de l'île, découvrent deux corps figés dans la glace.
« le corbeau s'est endormi dans une crevasse
En attendant qu'hiver se passe… »
Aujourd'hui – La jeune inspectrice Botti enquête sur la jeune Anika retrouvée morte à l'intérieur d'un chalutier.
Aujourd'hui encore – Une secousse sismique dans l'océan atlantique engendre un tsunami qui remonte jusqu'aux côtes islandaises. Ce spectacle à ciel ouvert a attiré de nombreux curieux venus voir le mascaret glisser jusqu'au glacier. Parmi eux, se trouve l'inspecteur Kornelius Jokobs, venu filmer la vague. Une partie du glacier soumis à l'énorme pression s'effondre, libérant trois corps enchâssés dans la glace.
Le lecteur se doute bien qu'il existe un le lien entre tous ces évènements mais lequel ? Et si lien il y a, et si comme moi, vous faites le calcul, ne devrait-il pas y avoir quatre cadavres ?
En tout cas, il n'en faut pas davantage pour que la curiosité du policier soit éveillée, lui qui a été poussé à une retraite anticipée dans le tome précédent.
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C'est ainsi que j'ai fait connaissance avec cet inspecteur qui fredonne sans cesse la complainte du corbeau. Il s'avère très vite que, très bon enquêteur, il est cependant peu apprécié de ses anciens collègues de travail. En effet, ce géant amateur de femmes, opiniâtre et solitaire, est peu respectueux ni de la hiérarchie, ni des procédures.
J'ai tout de suite apprécié cet inspecteur intègre, grande gueule, frondeur et impulsif dont la vie sentimentale est plutôt décousue.
Les autres personnages qui composent l'équipe de Kornélius sont également bien campés : l'audacieuse Botty, Ida la légiste et Ari Eiriksson, un tout jeune inspecteur en charge de l'affaire des trois hommes retrouvés morts. Sa description haute en couleur a retenu mon attention, me faisant sourire à maintes reprises par sa manière étrange de penser et de parler.
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Le récit est particulièrement prenant avec des rebondissements tout au long de l'intrigue, d'autant que la plume d'
Ian Manook, nerveuse et sombre, très cinématographique, donne à voir la beauté sauvage et âpre de l'Islande. L'auteur plante parfaitement le décor où la terre de feu et de glace, le ciel gris ardoise et la mer d'un bleu glacial et translucide sont omniprésents et entrent en collision.
Cet endroit inhospitalier m'a donné des envies de voyage.
Ian Manook dépeint si parfaitement la nature islandaise que l'on pourrait croire qu'il est natif de ce pays. J'avais eu cette même impression avec sa trilogie «
Yeruldelgger » où il décrivait la Mongolie de manière admirable.
« C'est l'Islande. Un nuage ventru comme un édredon étouffe le soleil. Tout se fige aussitôt et l'homme se tait, surpris par le froid soudain. le paysage tout entier s'éteint en noir et blanc. »
On aurait envie de se perdre dans la contemplation de ces paysages grandioses et imposants, si on ne ressentait pas également une note de tristesse devant notre responsabilité face au réchauffement climatique particulièrement visible en Islande où la fonte des glaciers s'accélère à une vitesse inquiétante.
« Kornélius regarde ce glacier que les Islandais considèrent comme un être vivant et qui meurt doucement, comme un être qui a vécu. Quelques mois plus tôt, dans l'Ouest, au nord de Reykjavik, on a "enterré" un glacier. le premier des quatre cents du pays à avoir disparu. Fondu. »
L'auteur a également réalisé un travail de documentation important sur les relations compliquées entre le Danemark et les Etats-Unis, la corruption des hommes politiques, la violence et les vices des hommes influents.
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Voici un roman policier bien mené, fluide et terriblement efficace. L'intrigue passionnante, addictive à souhait, est marquée par la présence continuelle de la nature. Je me suis laissée emporter par le chant lugubre du corbeau survolant ces lieux transpercés de lumière et d'ombre.
« Tant de choses peuvent le blesser
Tant de choses… »
Un très bon moment de lecture.
En lien, je vous mets
Krummavísur, la très belle complainte du corbeau :
https://www.youtube.com/watch?v=TdYQu-pB3nU