Cela me semble tout aussi stupide et tout aussi infernal de devoir aller au bureau lundi prochain, reprit Jonathan, que cela l'a toujours été et le sera toujours. Passer les meilleurs années de sa vie sur un tabouret de neuf heures à cinq heures à scribouiller dans le livre de comptes de quelqu'un d'autre! C'est faire un curieux usage de la seule et unique vie que l'on ait, non? Ou est-ce que je déraisonne vraiment?
Alice en réalité était une personne pleine de douceur, mais elle tenait prêtes les répliques les plus extraordinaires à des questions dont elle savait qu'on ne lui poserait jamais. Le fait de les composer et les tourner et les retourner dans sa tête lui apportait autant de réconfort que si elle les avait exprimées. Vraiment ces répliques l'avaient sauvée dans les places où on lui avait laissé si peu de répit que le soir elle avait peur de se coucher en laissant une boîte d'allumettes sur la chaise au cas où dans son sommeil, elle s'en serait pris aux allumettes pour ainsi dire.
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE :
« Je ne parle pas français », in Katherine Mansfield, félicité, traduit de l'anglais par J.-G. Delamain, préface de Louis Gillet, Paris, Stock, 1932, p. 57.