Je n'avais encore rien lu de
Javier Marias et ce roman a été une véritable révélation. Si l'intrigue est finalement assez courte, il s'agit de retrouver parmi trois femmes d'une même ville, celle qui pourrait être une dangereuse terroriste de l'ETA ou de l'IRA, compte tenu des liens supposés entre les deux organisation. Tête pensante des attentats très meurtriers qui ont secoué l'Espagne des années 80, et en particulier les attentats de Barcelone et Saragosse en 1987, elle doit être démasquée et livrée à la justice ou disparaître. le cours de l'histoire se déroulant dix ans plus tard, en 1997, l'assassinat du jeune conseiller municipal Miguel Angel Blanco est utilisé également comme élément dramatique.
A travers l'histoire des massacres de l'ETA et de l'IRA,
Javier Marias nous entraîne, dans une vaste réflexion sur le meurtre « légal », le crime anticipé qui de son seul fait empêcherait des bouleversements planétaires. Ce fut le cas, par exemple, pour
Friedrich Reck-Malleczewen, qui vouait une haine viscérale aux nazis et à deux reprises aurait pu éliminer Hitler mais ne le fit pas (il mourra à Auschwitz). L'élimination des responsables terroristes est le travail de l'ombre de ces espions, se substituant à l'oubli des peuples pour traquer les responsables terroristes car, dans cette lutte, la prescription n'existe pas. « Dans la lutte contre le terrorisme il y a des choses qu'on ne doit pas faire. Et si on les fait, on ne doit pas en parler. Et si l'on en parle, il faut démentir ». Ils sont de fait les gardiens de notre tranquillité et de notre bonne conscience.
Le livre est aussi une analyse de la décision au prisme du libre arbitre d'un individu, sous une forme souvent récursive faisant appel au mêmes évènements au travers de tragédies shakespeariennes, en particulier Macbeth, Richard III, ou encore la mort de Thomas Becket. Un humour quelque peu ironique, jouant avec les conventions d'une éducation à Oxford.
Enfin, C'est aussi un roman sur la loyauté à une cause, la défense du Royaume, à un chef dont la complicité et la proximité en font la personne la plus proche de vous car il est le seul à vous connaître vraiment.
La suite de la recherche de l'ancienne terroriste, la recherche de la preuve, la vie aux aguets du moindre signe et son épilogue, je vous laisse les découvrir. Et si vous vous demandiez, comme moi, pourquoi Gérard Philippe sur le bandeau de couverture, il faudra attendre deux bon tiers du livre pour le savoir.
Contre l'oubli, et pour le plaisir d'une belle et riche écriture, suivez les traces de
Tomás Nevinson.