Pourtant je crois me souvenir que lorsqu’on était gamins, on nous avait dit que la vie était juste, qu’elle vous rendait à hauteur de ce que vous aviez donné, et que si vous désiriez quelque chose avec assez de force, vous finiriez par l’obtenir
Il est dans la nature humaine de protéger sa vie à tout prix. Et pas seulement dans la nature humaine. Dans la nature tout court. J'ai vu ce qu'un kangourou pris au piège peut faire aux chiens qui tentent de l'approcher. Mais si Dieu m'avait donné un esprit, une conscience et une imagination qui me permettait de me mettre à la place de quelqu'un d'autre, c'était certainement pur que je m'en serve, et pas pour que j'agisse sans me poser de questions. Je ne suis pas un kangourou. Alors je me suis demandé - et je me demande toujours - si j'avais bien agi. Une autre chose que m'avait donné Dieu, c'est le sens des responsabilités. Parfois, j'aimerais qu'il ait oublié de me faire ce cadeau empoisonné. Parce que maintenant que je l'ai, quand je commets un acte dont je pense qu'il est peut-être répréhensible, je ne peux pas m'en laver les mains. J'avais tué, peut-être plusieurs de mes semblables. Cet acte, je l'avais commis. Il m'appartenait et je devais l'assumer. Ces soldats étaient morts la nuit dernière, et mon cheval aussi. Une fois encore, j'avais décidé que ma vie valait plus que la leur. Or je ne connaissais même pas ces gens. Pour moi, ils étaient de parfaits étrangers. Est-ce qu'il y avait un dessein derrière tout ça ? Est-ce que je méritais de vivre et ces gens de mourir ? Est-ce que c'était une épreuve qu'on m'envoyait ? Est-ce que j'étais destinée à découvrir un traitement contre le cancer, à sauver l'humanité ? Et supposons qu'un de ces soldats ait été destiné à retourner un jour à la vie civile et à découvrir un traitement contre le cancer ? Cela n'arriverait jamais maintenant, puisqu'il était mort.
Les guerres ont fait des millions, des centaines de millions de victimes. Certaines sont mortes dans des circonstances stupides. Un autre poème écrit pendant la Première Guerre mondiale que m'avait donné à lire le professeur de Dunedine parlait d'un soldat qui ne voulait pas utiliser les mêmes latrines que les autres. Comme il s'éloignait pour pisser à l'écart de ses camarades, il s'était fait descendre par un tireur d'élite. L'auteur du poème disait que cette mort n'avait rien de risible. Ce soldat avait payé le prix pour vivre selon ses propres valeurs. En quoi est-ce ridicule ? Que chaque homme soit jugé selon ses actes. Moi, j'ai payé le prix pour vivre en accord avec moi-même. Le prof avait dû me l'expliquer, car à l'époque, je n'avais pas compris. Parfois je me dis que la poésie a déjà tout exprimé. Donc, beaucoup de gens sont morts dans les guerres, et certains pour des broutilles. Pourquoi en serait-il autrement pour nous ? Si Fiona et moi mourions à cause d'un éternuement ou d'un sac de sucre, qu'est-ce que ça aurait d'extraordinaire ? On ne ferait que rejoindre le contingent des centaines de millions d'autres victimes.
Pour être honnête - et je crois l'avoir été depuis que j'ai commencé ce récit -, je dois avouer que je pensais qu'is ne nous demanderaient rien simplement parce que nous avions déjà tellement fait. Bon sang, n'avions-nous pas pris assez de risques ? N'avions-nous pas enchaîné les offensives ? N'avions-nous pas fait sauter un navire, dévasté le port de Cobbler's Bay et tué un général à Wirrawee ? Lee n'avait-i pas reçu une balle dans la jambe ? N'avions-nous pas perdu trois de nos camarades dont aujourd'hui encore je ne peux prononcer le nom ? N'avions-nous pas regardé la mort en face et senti son étreinte glacée sur notre nuque ? Que pouvaient-ils exiger de plus ? Devions-nous tous mourir avant qu'enfin ils déclarent 'C'est bon, vous avez fait votre boulot. Vous êtes démobilisés jusqu'à la fin de cette guerre'. Jusqu'où nous faudrait-il aller ? Rien que d'y penser, je sens que je m'énerve. Je sais qu'il n'y a aucune logique dans tout ça. Je sais que tant que nous serons en guerre, ils ne pourront pas dire : 'OK, les gars, on va continuer sans vous. Vous avez besoin d'un break d'un ou deux ans.
J'étais impatiente de descendre dans Hell. Cet endroit était comme ma maison désormais. Mon foyer se trouvait en enfer. Quelle conclusion pouvait-on en tirer à mon sujet ? Qui vivait en enfer ? Je connaissais la réponse : le diable et les âmes damnées. Et moi, qui étais-je ? La plupart du temps, je pensais connaître aussi la réponse à cette question-là. Mais parfois, j'avais l'impression d'être moi-même un démon. Certains actes que j'avais commis me faisaient frémir et me donnaient la nausée"."Nous étions à présent prêts pour ce qui serait notre première - et peut-être dernière - chevauchée ensemble. Une image me vint à l'esprit, celle des quatre cavaliers de l'Apocalypse. Qui étaient-ils ? Je n'en avais pas la moindre idée, mais la comparaison me plaisait. Comme eux, nous étions quatre, comme eux, nous galopions vers l'Apocalypse.