Le roman reprend et développe le thème de la nouvelle « Malades et médecins » parue en 1884 (non reprise en recueil), dans laquelle un petit vieux dans la même station thermale discutait avec son médecin des autres petits vieux qui mourraient autour de
lui. La mort était déjà dans
Bel-Ami, mais comme un arrière-plan menaçant touchant les échoués, les dépassés, autour d'un homme vainqueur, premier de cordée, à qui tout réussissait. Ici, les choses sont renversées : on entre chez les malades, ceux qui à chaque porte qui s'ouvre croient un instant apercevoir la non-figure de la mort ; et en arrière-plan, le monde des affaires continue de tourner, sans pitié, sans souci... Voilà l'homme : tant qu'il n'est pas touché
lui-même par le malheur, la misère, la maladie, il continuera d'agir égoïstement ou plutôt inconsidérément. Si
Maupassant disait en riant être ce
Bel-Ami qui triomphait de manière insolente, il était déjà conscient de la maladie qui gagnait son corps, la syphilis diagnostiquée huit ans plus tôt, son oeil qu'il soignait au cyanure...
Maupassant a depuis longtemps commencé les cures, les voyages vers le sud à but sanitaire suivront un an plus tard (
Sur l'eau)...
Mont-OriolMont-Oriol et ses malades, ce pourrait donc être
lui aussi. La femme tombant enceinte passe également du côté des malades, rejetée par le monde de l'homme conquérant.
Maupassant noircit encore le tableau pessimiste de son premier roman
Une vie sur la condition de dominée de la femme : tout ce qui tourne autour de la maternité - règles, changements d'humeur, déformation du corps, sacrifice de soi pour
l'enfant - rapproche inévitablement la femme, aux yeux du monde des affaires et de la réussite, des faibles, des malades, des fous. C'est donc maintenant de ce point de vue, inverse, qu'il regarde le monde immoral de la réussite, l'ambition écrasante des hommes qui renient la mort. Les médecins ici ont une place particulière. Ils devraient être les plus proches de la mort mais ne semblent pas la comprendre, pas la prendre en compte ; ils sont près des mourants mais ne sont pas vraiment là, ils sont davantage à leur conversation avec les hommes d'affaires, leurs alter-égos de réussite.
Est-ce le sujet des stations thermales qui, finalement, est si peu captivant ? ou le génie
De Maupassant fait une petite pause après le triomphe de
Bel-Ami ? Peut-être se débat-il contre dégoût de l'homme qui sent la mort et voit autour de
lui un monde de vanité dans lequel l'écriture a perdu sens ? La personne malade est laide, désagréable, pour l'humanité, mais constitue une marchandise pour le médecin. L'histoire est agréable à suivre mais anecdotique. La satire des médecins modernes entrepreneurs est peu convaincante en comparaison de celle similaire que fera
Jules Romains dans Knock. Les personnages ont si peu de consistance qu'aucun n'entre en tension dramatique. Ne reste que cette belle terre auvergnâte qui semble apaiser le mal littéraire chronique et par là aussi le talent… Hors quelques élans décousus mais remarquables,
Mont-Oriol reste, pour moi, le grand échec
De Maupassant, ne parvenant pas à vraiment affronter son sujet, s'en détournant comme les médecins, vers la critique facile pour le non compatissant plutôt que vers la pitié pour le mourant.
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