Ville de Mesto, Tchécoslovaquie. le livre s'ouvre sur le retour, celui de Frau Landauer, sa canne tapotant le sol de la cour. Une absence de trente ans. Guidée dans la demeure, arrivée dans la Pièce de verre, les images du passé ressurgissent, ses yeux aveugles la privant de voir la pièce telle qu'elle est aujourd'hui.
Mais revenons en arrière, vers la fin des années 1920. La maison, une immense demeure très avant-gardiste pour son époque, plaque centrale de ce roman, n'est pas encore construite. C'est lors de la lune de miel de Liesel et Viktor Landauer qu'émerge le désir d'un foyer en accord avec le XXe siècle, une maison rêvée pour une vie entièrement tournée vers l'avenir. Leur rencontre avec Rainer, un architecte ou plutôt « un poète de la lumière, de l'espace et de la forme » comme il se qualifie lui-même, va remplir toutes leurs envies de modernisme. Là, à Venise, alors que la lumière fait étinceler les gondoles, l'architecte leur dessine un projet, une oeuvre d'art dont tout le monde s'émerveillera.
Fini le temps des pierres et des briques ainsi que des ornements lourds et clinquants.
L'immense maison sera construite à flanc de colline. du verre pour une impression de contact direct sur l'extérieur, une structure en acier chromé et, dans la Pièce de verre, un mur d'onyx très onéreux, qui, caressé par les rayons du soleil couchant, s'enflamme d'or et d'ocre.
Pour Liesel, ce foyer atteindra la perfection. Et pour son amie Hana « Tout cela est bien trop beau pour durer. »
Le choix de cette maison de verre, qui, excepté le mur d'onyx dont le flamboiement amène une touche chaleureuse, semble très judicieux pour y installer, en premier lieu, les vies du couple Landauer. Ce grand espace moderne et froid va en effet abriter leur dérive conjugale. Avant les évènements amenés par la montée en puissance d'Hitler, les relations du jeune couple s'effritent alors que Viktor fréquente une jeune Viennoise rencontrée lors de ses déplacements professionnels. L'auteur instaure un contraste saisissant entre la transparence, la clarté de cette Pièce de verre où l'on revient si fréquemment, et la fausseté du mari, sa relation extraconjugale ne lui apportant aucune honte, aucune culpabilité.
Puis les articles de journaux ou le poste de radio relatent les succès politiques en Allemagne. le grand Reich annexe, des réfugiés en masse quittent l‘Autriche et se réfugient en Tchécoslovaquie alors que Viktor, juif non pratiquant, songe à fuir aussi.
« La maison est devenue leur refuge, la Pièce de verre, cette construction qui n'a pourtant rien d'une forteresse, leur apporte la consolation de la raison et du calme, tandis que dehors, aux confins de leur existence, le monde s'écroule. »
Finalement déserté, ce Palais de verre retrouvera sa nudité première, celle d'avant l'installation du couple. L'angoisse, les incertitudes flottent dans la maison vide. Un retour sera-t-il possible ?
Les nazis, les Soviétiques, respecteront-ils la propriété Landauer ?
De sa construction à 1990, cette maison de verre nous ouvre grand ses portes et ses baies vitrées. On s'y engouffre, porté par la fluidité de la plume de
Simon Mawer. Entre faits historiques et liaisons amoureuses ou haineuses qui se font et se défont, les vitres de cette vaste demeure laissent voir au lecteur des décennies de rapports tumultueux, du point de vue politique et intime. Au fil de ces temps chaotiques, l'occupation de la Pièce de verre initialement conçue pour un avenir radieux et plein de belles promesses reflète finalement la folie, la perversité et la brutalité de l'homme.
Si l'architecture du Palais de verre faisait preuve d'un impressionnant modernisme, il semblerait que l'auteur ait également mis du côté du personnage d'Hana des attitudes et un langage très osés pour l'époque. D'ailleurs, sa dernière relation est vraiment improbable et enlève un peu de crédibilité à l'histoire.
Il n'en reste pas moins que les plus de six cents pages de ce roman se dévorent en nous ramenant inlassablement dans l'intérieur dépouillé de la Pièce de verre où, par delà son alignement de vitres, l'orage gronde et éclate, la complexité des relations et des désirs humains entachant la pureté de la lumière qui inonde ce vaste espace moderne.