Encore un des merveilleux petits bouquins de la collection "écrivains d'hier et d'aujourd'hui" chez Pierre Seghers...
Un petit tour au XVIème siècle, à la cour de Marguerite de Navarre puis à celle de François 1er: Clément Marot est un aimable poète de cour qui met en musique ses poèmes légers d'aimable courtisan, dit au Roi comment "faire une amye"...ou chante joyeusement les charmes de sa belle Anne, par tous les temps!
Mais Marot est aussi un érudit, un humaniste qui connaît le grec, l'hébreu et le latin, un évangéliste qui lit librement la Bible et les Evangiles ,traduit fort bellement les Psaumes de David, se laisse gagner aux idées nouvelles de la religion réformée.. Il gravite autour de la tolérante Marguerite de Navarre mais celle-ci ne peut plus le protéger quand éclate, en 1534, l'affaire des Placards, affichettes "placardées" contre la messe jusque sur la porte de la chambre du Roi..qui prend le mors aux dents...
Marot fuit, non sans avoir fait connaissance avec la question et les geôles terribles réservées aux suspects de protestantisme...
On s'étonne toujours de voir cet aimable courtisan, ce galant "chansonnier" , prendre soudain un tout autre ton dans les mètres terribles de "L'Enfer":
Je dis Enfer et Enfer puis bien dire:
Si l'allez voir, encore le verrez pire.
Aller, hélas, ne vous y veuillez mettre;
J'aime trop mieux le vous décrire en mètres,
Que pour le voir, aucun de vous soit mis
En telle peine! Ecoutez donc, Amis.
Et nous l'écoutons, tout frissonnants d'horreur...
Là les plus grands les plus petits détruisent
Là les petits peu ou point aux grands nuisent
Là trouve l'on façon de prolonger
Ce qui se doit et se peut abréger
Là sans argent pauvreté n'a raison
Là se détruit mainte bonne maison
Là bien sans cause en causes se despendent
Là les causeurs les causes s'entrevendent
Là en public on manifeste et dit
La mauvaiseté de ce monde maudit.
Commenter  J’apprécie         152
Quand vous vouldrez faire une Amye
Quand vous voudrez faire une amie,
Prenez-la de belle grandeur,
En son esprit non endormie,
En ses appâts, bonne rondeur;
Douceur
En cœur,
Langage
Bien sage,
Dansant, chantant par bons accords
Et ferme de cœur et de corps.
Si vous la prenez trop jeunette,
Vous en aurez peu d'entretien.
Pour durer, prenez la brunette,
En bon point, d'assuré maintien.
Tel bien
Vaut bien
Qu'on fasse
La chasse
Du plaisant gibier amoureux:
Qui prend telle proie est heureux.
L'Enfer
Je dis Enfer et Enfer puis bien dire:
Si l'allez voir, encore le verrez pire.
Aller, hélas, ne vous y veuillez mettre;
J'aime trop mieux le vous décrire en mètres,
Que pour le voir, aucun de vous soit mis
En telle peine! Ecoutez donc, Amis.
Bien avez lu, sans qu'il en faille un A,
comme je fus par l'instinct de Luna
Mené au lieu plus mal sentant que soufre
Par cinq ou six ministres de ce gouffre...
L'Enfer
Là les plus grands les plus petits détruisent
Là les petits peu ou point aux grands nuisent
Là trouve l'on façon de prolonger
Ce qui se doit et se peut abréger
Là sans argent pauvreté n'a raison
Là se détruit mainte bonne maison
Là bien sans cause en causes se despendent
Là les causeurs les causes s'entrevendent
Là en public on manifeste et dit
La mauvaiseté de ce monde maudit
De sa grande amie
Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d'ici en Italie.
D'honnêteté elle est saisie,
Et crois selon ma fantaisie
Qu'il n'en est guère de plus belle
Dedans Paris.
Je ne vous la nommerai mie
Sinon que c'est ma grand amie,
Car l'alliance se fit telle,
Par un doux baiser, que j'eus d'elle,
Sans penser aucune infamie
Dedans Paris.
Du partement d'Anne
Où allez-vous, Anne ? que je le sache,
Et m'enseignez avant que de partir
Comme ferai, afin que mon oeil cache
Le dur regret du coeur triste et martyr.
Je sais comment ; point ne faut m'avertir
Vous le prendrez, ce coeur, je le vous livre ;
L'emporterez pour le rendre délivre
Du deuil qu'aurait loin de vous en ce lieu ;
Et pour autant qu'on ne peut sans coeur vivre
Me laisserez le vôtre, et puis adieu.