Elle ne possédait pas, ancrés en elle, des critères émotionnels grâce auxquels elle aurait pu distinguer la pitié de l’amour, la colère du désir de protection. Tim et elle ressemblaient à une étrange juxtaposition de Trilby et Svengali : c’était l’absence d’intelligence qui fascinait l’intelligence.
Elle s’était imaginé qu’elle allait l’initier à la connaissance de Beethoven et de Proust, élargir son jeune esprit, l’imprégner de musique, de littérature et d’art, jusqu’à ce que le jeune homme fût aussi beau intérieurement qu’il l’était extérieurement. Mais c’était un nigaud, un pauvre simple d’esprit.
Il n’était en rien différent d’un chien ou d’un chat qu’on gardait parce qu’il était agréable à regarder, et aveuglément, affectueusement fidèle. Mais il était incapable de penser, il ne pourrait jamais répondre intelligemment ni susciter la réponse d’un esprit curieux. Tout ce que pouvaient faire les animaux, c’était d’être là, aimables et aimants.
On ne peut pas tout avoir, même les plus doués et les meilleurs d’entre nous.
— Tim, est-ce que ça t’ennuierait beaucoup si nous rentrions en ville ?
— Pas si tu le veux, Mary. Rien de ce que tu veux faire ne m’ennuie.
— Alors, rentrons maintenant, à l’instant même. Je veux voir papa. J’ai l’impression qu’il a besoin de nous.
La propriété de Mary était très vaste pour la région – environ dix hectares. Elle l’avait achetée en prévision de l’avenir, sachant que la prolifération cancéreuse de la ville conduirait en fin de compte à des profits fantastiques. En attendant, cette propriété convenait très bien à son goût de la solitude.
Lorsqu’elle arriva en haut de l’escalier de son patio, elle se retourna pour regarder la cour de Mme Parker. Il avait disparu. Son sherry avait disparu aussi, ce qui en restait s’était renversé quand elle avait machinalement retourné son verre, dans sa hâte de fuir l’innocence de ce regard bleu.