Le lecteur qui a levé les yeux de son livre
perçoit le ciel qui est l’océan vrai,
L’étendue immense de bleu qui enserre
Toute la terre, au bout de quoi on tomberait
Hors de tout, si on trouvait ce bout.
Un énorme nuage blanc figure
La crête d.écume d’une vague, elle se brise
Et s’effiloche tandis que passent deux goélands
Dans l’espace concave où le bleu va et vient.
Avant qu’il ait retrouvé le fil de la phrase
Qu’il avait laissée,ce lecteur aura scandé
L’iambe suprême d’un après-midi d’été.
Un trait tiré à la règle entre deux champs de bleu
Suffit à faire un paysage marin, minimaliste
Mais paysage tout de même si le contemplateur,
Qu’on perçoit de dos comme dans Friedrich,
Y met un peu de bonne volonté. Manquait le mouvement
Des vagues, au bas, toujours au bas, frangées d’écume,
Qu’on vient d’ajouter. Du coup, arrivent le bruit
Du ressac, l’air froid, salin, parfumé de varech,
Le vent qui souffle du large, l’embrouillamini
De la lumière dans le prisme mobile des houles,
Et cette pâleur du ciel, qui n’est pas si bleu que ça
À travers le filtre de l’air vaporisé d’embruns.
Par-dessus les corniches et les cheminées,
Le printemps déploie un ciel strié
De nuages que tout le prisme éclabousse.
On vient de passer l’équinoxe,on va
Dans la rue élargie vers les jours étales
Du solstice, vers le soleil des écoliers.
Une flaque laissée par mars recueille
L’espace vert et rose que l’aurore repeint
Chaque jour de plus en plus tôt.
Pour un peu on verrait dans ce miroir,
Entre les voitures qu’embue la rosée,
Des îles, des dômes d’or, des fleurs.
On entend des cris de mouettes qui donnent
À la ville une atmosphère maritime, loin,
Très loin de lamer. Des nuages striés moulent
Dans l’étendue bleue des crêtes d’écume.
Manquent l’air iodé, l’odeur du varech.
Mais le vent souffle du nord-ouest
Avec entêtement. S’il pleuvait, tout
Prendrait une épaisseur d’humidité
Qui donnerait le change. On fermerai
Les yeux, on respirerait profondément.
Cela suffirait : en se tournant
Face au vent, on croirait sentir le large.
On est allé au bord du fleuve voir
La nuit couler, le temps s’en aller
Entre les berges noyées par l’obscurité.
Le vent coulait, l’air coulait,
Le noir qui était tout l’espace
Immense coulait de partout.
On n’entendait que l’eau, on aurait dit
Que toute l’obscurité se dilatait,
Qu’elle se faisait fontaine, qu’elle se versait
En elle-même, dans les ténèbres redondantes.
Dans l’air ondoyant, dans la nuit fluide,
Dans le fleuve fustigé de reflets.
L'amante (II), Robert Mélançon
lu par l'auteur