Habituellement, j'évite de lire les ouvrages des personnalités politiques. Peu intéressé par la forme livresque des programmes de campagne et encore moins par tous genres de récits autobiographiques de tels personnages publics, au moins de leur vivant, je suis conscient que l'éventuelle sympathie ou antipathie que l'on peut nourrir pour l'auteur de ces livres dérive de (ou bien détermine – là est une autre question, au demeurant fondamentale en sociologie électorale...) nos opinions politiques et nos comportements devant l'urne, lesquels constituent donc des éléments parasites dans l'approche que l'on a envers le livre, ce qu'il nous apporte en termes de savoir et de réflexion, et spécifiquement dans le jugement de sa valeur.
L'écoute de plusieurs interviews radiophoniques à
Mélenchon, réalisées par des journalistes souvent peu bienveillants à son égard, l'invitant à présenter son essai très récemment paru, m'a persuadé qu'il s'agissait là d'un ouvrage de théorie politique, suffisamment abstrait et distancié de l'actualité – et de toute campagne électorale – pour aspirer à se proposer comme grille d'analyse de longue durée. Et en effet, j'y ai trouvé une articulation tout à fait inattendue entre la « théorie de
l'ère du peuple et de la révolution citoyenne » et la critique du capitalisme néolibéral actuel sous le prisme écologique radical. Alors que l'écologie politique ne brille pas toujours pour sa théorisation (sans parler de ses avatars sous forme de partis politiques des différents pays d'Europe...) et que l'anticapitalisme ne présente pas souvent la question écologique sur le même plan prioritaire que la question sociale, loin s'en faut, le texte a au moins le mérite de cette originalité-là. de plus, si les théories sus-évoquées peuvent ressembler à des slogans électoralistes creux, je les ai trouvées nourries ici par la solide tradition d'analyse économique matérialiste marxienne, caractérisée par la rigueur et l'austérité conceptuelle. Enfin, les sujets abordés et les exemples utilisés dans les démonstrations sont particulièrement ancrés dans la réalité contemporaine : en particulier la problématique démographique, la centralité des réseaux et celle de l'urbanisme dans toutes leurs déclinaisons, en termes de conflictualité économique, de politique intérieure et enfin (même si l'accent est moins prononcé sur ce dernier point) de politique internationale. À l'issue de cette lecture très exigeante, devant un texte remarquablement dense dans lequel les pistes de réflexion fusent dans tous les sens, je comprends que le livre condense de nombreuses années de pensée et d'action politiques, mais qu'il ne s'adresse ni à l'actualité ni même principalement aux électeurs d'aujourd'hui : comme l'indique l'exhortation que représente son titre, il s'adresse plutôt aux jeunes « citoyens » et aux générations futures, comme un appel à associer notre temps présent non pas seulement au temps des décisions calamiteuses et de la négation de toute possibilité d'espérance, mais à l'envisager aussi comme celui où une certaine lucidité existait qui montrait – partiellement mais hardiment – la voie vers une alternative plus logique, plus vertueuse, plus durable, plus généreuse et soucieuse de l'intérêt général de l'espèce humaine dans son ensemble...
Table [succincte, avec appel des cit. ; chaque chap. est suivi d'un court résumé mien] :
Introduction
I. Insoutenable :
Chap. 1 : le nombre
[Où l'on a compris que le problème démographique, d'une envergure exceptionnelle et inédite, n'est pas traité de manière malthusienne, et que « l'hyper-individu » hyper-connecté peut être un enjeu pour la lutte politique.]
Chap. 2 : le nouvel espace-temps [cit. 1]
- le temps est une propriété de l'univers social
- le capitalisme comme temps dominant
- le choc avec le temps du vivant
- le présent déjà dépassé
- Harmonie et planification
[Où il est question de domination comme contrôle de l'espace-temps. L'espace-temps capitaliste tend à l'accélération permanente ; le maximum du pouvoir constitue l'objectif absolu qui est l'espace-temps zéro de la sphère financière. Cependant ces rythmes sont discordants avec le vivant et surtout avec l'écosystème. D'où la « Règle verte » qui impose une planification tendant à la concordance du temps de production avec les rythmes sociaux et ceux de l'écosystème.]
Chap. 3 : L'ère de l'incertitude :
- Savoir à l'ère de l'incertitude
- Nombre et savoir
[Où il est question de l'incertitude des changements de l'écosystème et de l'intelligence collective, ou « culture cumulative », comme moyen de progrès, seul capable d'y faire face.]
Chap. 4 : La noosphère :
- La noosphère globale et totale [cit. 2]
- Monopolisation du savoir
[Où la notion de noosphère est définie et en est donnée une exemplification contemporaine avec les connaissances numériques et en particulier big-data et l'IA. Néanmoins se pose le problème du stockage de ces données, répondant à des choix politiques, ainsi que celui de leur diffusion, qui est entravée par l'appropriation monopolistique des Gafam, grâce à la législation sur la propriété intellectuelle – ex. le brevet des recettes des vaccins Covid.]
Chap. 5 : de la servitude involontaire :
- Capitalisme insoutenable
- le libéralisme autoritaire [cit. 3]
- La déconfiture sociale-démocrate
- Vaincre dans nos têtes [cit. 4]
- L'impératif de la rupture
[Où une critique du capitalisme est détaillée d'abord et surtout pour des raisons écologiques, à savoir :
i) le capitalisme est incompatible avec les impératifs de soutenabilité sous forme d'intérêt général ;
ii) le capitalisme est autoritaire et n'assure que la liberté du capital ;
iii) le nouvel antagonisme n'oppose plus le capital au travail mais le profit privé à l'intérêt général ;
iv) La social-démocratie est obsolète car productiviste ;
v) La notion d'anthropocène pose la responsabilité générale de l'espèce dans l'organisation productiviste, notamment par la consommation ;
vi) La rupture est un impératif lié au délai environnemental.]
Chap. 6 : Les droits de l'espèce :
- La nuit
- le silence
- L'air
- L'eau
- L'alimentation
- Memento
[Où sont établis des droits plus fondamentaux que la propriété privée, comme « droits de l'espèce » : droit à l'obscurité, au silence, à un air respirable, à de l'eau potable, à une alimentation saine, sachant que la famine et la malfbouffe sont liées davantage à la pauvreté qu'à la capacité de production alimentaire.]
II. Nouvelle conflictualité, nouvel acteur
Chap. 7 : La ville [cit. 5] :
- Ville, nombre, marché et classes
- Ville et capitalisme [cit. 6]
- le nouveau fait urbain inégalitaire
- Les révolutions urbaines
[Où il est question d'urbanisme, depuis le début du développement historique de la ville, puis de son lien continu avec le capitalisme à travers le temps jusqu'à la ville néolibérale et aux révoltes urbaines des dernières années.]
Chap. 8 : Les réseaux :
- La vie en réseaux
- Anthropocène et réseaux
- Les nouveaux travailleurs des réseaux
- La nouvelle conflictualité [cit. 7]
[Où il est question de l'étendue des réseaux dans la vie sociale contemporaine, mesurable a contrario par leurs dysfonctionnements : déserts médicaux, carences d'autres services, défaut de couverture numérique. Nouvelle définition de la conflictualité entre « peuple » et « oligarchie » relative au contrôle des accès aux réseaux.]
Chap. 9 : le peuple :
[Où le peuple est défini comme acteur politique au sein de la conflictualité spécifique contre l'oligarchie pour le partage des richesses et le contrôle des accès aux réseaux.]
III. La Révolution citoyenne
Chap. 10 : le grain de sable [cit. 8] :
- Au début c'est inouï
- Les luttes préexistantes
[Esquisse d'étude de la phénoménologie révolutionnaire : définition de la révolution citoyenne, ses signes avant-coureurs, « transcroissance » des revendications, liens avec les questions écologiques, importance du suicide socio-politique.]
Chap. 11 : Les habits neufs de la révolution :
- Spectacle de la révolution
- Assemblées citoyennes
- Visibilité
- Urbanité
- Légitimité et unanimité
- Les femmes en révolution
- Les phases de la révolution
[Phénoménologie de la révolution (suite) : visibilité des assemblées citoyennes où règne le principe du consensus, révoltes urbaines , présence féminine, phases y compris parfois les cycles longs.]
IV. le nouvel Eldorado
Chap. 12 : le capitalisme en réseau :
- le nouveau capitalisme [cit. 9]
- Les nouveaux monopoles
- La nouvelle bataille du contrôle
[Étude sur le capitalisme en réseau, dont la globalisation se fonde sur trois piliers : « la logistique [qui] rend possible le fonctionnement des réseaux matériels, l'informatique [qui] ordonne la circulation, et la finance [qui] commande et condense » (p. 248). La fin pose que la géopolitique traditionnelle n'est pas rendue caduque par la globalisation, car sa fonction est de garantir la sécurité des réseaux stratégiques : hydrocarbures, câbles, voies maritimes, eau...]
V. Vers le peuple humain
Chap. 13 : Une diplomatie altermondialiste :
- Nouvel ordre mondial
- Les nouveaux venus
- Vers l'altermondialisme
[Où l'on constate le déclin des États-Unis et notamment du dollar, face aux Brics : ce constat conduit à envisager une diplomatie selon de nouveaux principes : coopération et collectivisme vers l'altermondialisme et en faveur des causes communes ; centralité de l'ONU, lourde critique de l'Otan.]
Chap. 14 : Nouvelles frontières de l'humanité :
- L'espace
- La mer
[Enjeux et vulnérabilité des nouveaux territoires de l'humanité : l'espace qui n'est plus res nullius ni démilitarisé et la mer étant conçue comme un potentiel immense de ressources énergétiques renouvelables.]
Conclusion : La morale de l'histoire [cit. 10]