La main courante. Les archives indiscrètes de la police parisienne, 1900-1945

La petite criminalité est moins bien maîtrisée dans Paris que dans la grande : les effectifs de police sont très insuffisants pour faire face aux nombreuses formes de vols, à la tire, à l'étalage, à la roulotte, dans les voitures en stationnement, "vol à l'aide de fausses clés", vols qualifiés par experts du cambriolage, vol en complicité, dit à l'américaine ou au poivrier, "vol avec violences...

[L'Autorité et la Loi] « S'ils étaient nés anglais, ces gardiens de Paris, ils seraient soutenus par la sympathie universelle. Chez nous, il n'en n'est pas toujours ainsi », écrivait un chroniqueur des Annales des victimes du devoir en 1884. S'il est vrai, selon Chamfort, que « les Anglais respectent la loi, et méprisent l'autorité », les Français « respectent l'autorité et méprisent la loi » Il est sans doute essentiel que le gardien de la paix soit en uniforme et non en bourgeois dans les rues de Paris : le policier en tenue incarne l'ordre et, comme tel, suscite le respect et la crainte.
Mais, au titre de défenseur de la loi, précisément, il est brocardé, insulté, bousculé, trompé. Plus que le provincial, le Parisien tient à honneur de trouver des accommodements avec les règlements, voire de bafouer la loi. La chronique de la circulation depuis cent ans en témoigne, quand les rondes d'agent doivent employer la force pour faire entendre raison aux cochers qui gênent la circulation des tramways, aux conducteurs de voitures de place qui méprisent les règles de la circulation, aux automobilistes enfin qui n'acquièrent une discipline que très progressivement. (...) On s'en prend à la police à la fois des blocages de la circulation, qu'elle devrait éviter, et des sanctions qu'elle prend pour l'améliorer.

[La misère au quotidien] (...) Trop de gens vivent au jour le jour, dans des logements sordides, où l'on doit payer pour une paillasse tous les matins, sous peine d'être jeté à la rue. « Voilà un garni, écrit Lépine lui-même : la pièce est sale et humide. Les papiers du mur se décollent et pendent en morceaux, deux, trois lits côte à côte, des draps souillés, déchirés – quand il y a des draps –, une paillasse, un lambeau de tapis ou de couverture puante, sous laquelle deux ou trois enfants se pelotonnent, contagieux ou bien portants, ensemble frères, sœurs, de tout âge, pêle-mêle. Vous devinez le désordre, les haillons jetés au hasard ou pendus à une corde. En hiver, pas de feu. L'air vient du couloir, ou du toit. » Vivre en garni est le début de la déchéance. L'homme ne supporte pas cette image d'échec, il va chercher ailleurs chaleur et lumière, la diversion de « l’Assommoir ».

[Le noir et le rouge...] À partir de 1903, les réunions se multiplient dans Paris pour demander la séparation de l'Église et de l'État. [...] Pendant toute l'année 1903, de petits groupes violents continuent à s'affronter dans Paris, sans que la rue soit livrée à l'émeute. La police de Lépine veille, prête à intervenir à la moindre provocation. [...] Les troupes laïques mobilisées par le journal L'Action surgissent, renforcées d'ouvriers socialistes et d'anarchistes syndiqués. Elles chargent au cri de « Sus aux mascarades ! ». Les garçons bouchers les arrêtent, os de mouton et nerfs de bœuf en main. Le sang coule, la police intervient rapidement, raflant ceux qui se battent sans égards et sans retard. [...] « Le Christ à la voirie, la Vierge à l'écurie ! ».

[Bourres et bignoles] Mieux payé que son collègue de province, habillé et armé par l'administration, le gardien ne perçoit pas cependant en 1900 un traitement suffisant pour se loger convenablement dans Paris. Aucun logement ne lui étant fourni, il en vient, dans de nombreux cas, à épouser une concierge pour être assuré d'un gîte.