Le 25 novembre 1970,
Yukio Mishima (Hiraoka Kimitake de son vrai nom) envoie à son éditeur la fin de sa fameuse tétralogie « La mer de la fertilité » avant de se rendre au quartier général du ministère de la Défense à Tokyo pour y prendre en otage le commandant en chef des forces d'autodéfense, d'adresser aux troupes militaires un discours en faveur du Japon traditionnel et de l'Empereur, et d'accomplir son seppuku (suicide rituel par éventration).
Marguerite Yourcenar, autrice d'un essai intitulé «
Mishima ou la Vision du vide » (1980), dira que « la mort de Mishima est une de ses oeuvres et la plus soigneusement préparée ».
Si cette mise en scène peut ressembler à un coup d'état raté ou à un coup d'éclat patriotique et traditionnaliste, on ne peut comprendre les racines et la profonde signification de cet acte qu'en lisant «
le soleil et l'acier » (太陽と鉄), essai autobiographique que Mishima écrivit deux ans avant sa mort programmée. Dans ce manifeste idéologique, l'auteur explique les raisons qui l'ont poussé à forger son corps par
le soleil et l'acier, après avoir passé sa jeunesse à forger son esprit par les idées et les mots. Selon lui, « combiner l'action et l'art, c'est combiner la fleur qui se flétrit et la fleur qui dure à jamais, mêler chez un individu les deux désirs les plus contradictoires de l'humanité et les rêves de réalisation propres à chacun de ces désirs. »
En laissant le soleil déposer sur sa peau un hâle cuivré et en soulevant de la fonte pour se modeler des muscles robustes, Mishima acquiert une dignité de la chair propre à affronter le tragique de la mort, seule manière selon lui d'accéder à la victoire ultime. Tout au long des développements de sa pensée, l'auteur oppose l'esprit à la chair, la fonction corrosive des mots à la valeur existentielle et constructive des actions. En s'appuyant sur ses expériences personnelles, notamment relatives à sa formation militaire, mais aussi sur ses intuitions poétiques et inclinations romantiques pour le morbide, Mishima élabore une doctrine de l'être ne pouvant mener qu'à une seule issue.
S'il est fascinant de pénétrer la pensée torturée de cet auteur que j'apprécie beaucoup, j'ai parfois regretté ici son style un peu verbeux et ses circonlocutions intellectualisantes propres à rebuter certains lecteurs. Cela n'enlève rien aux qualités intrinsèques du texte, mais je n'y ai pas retrouvé la limpidité cristalline qui m'avait tant séduit avec «
le Pavillon d'Or » par exemple. Cet essai reste cependant indispensable pour comprendre la personnalité de Mishima et l'idéologie sous-jacente à son oeuvre, unique dans le panorama de la littérature japonaise et même mondiale.