Etsuko entendit des bambous exploser près d’elle et se sentit ranimée. N’importe quel bruit discordant lui eût paru agréable à ce moment. Ses oreilles délicates, que n’émouvaient plus des bagatelles et qui aspiraient à un bruit capable de lui déchirer le tympan, devaient avoir écouté intensément le rythme de quelque émotion enfouie au plus profond d’elle-même.
Etsuko poursuivait le cours de ses pensées. « Il me faut tout absorber … il me faut tout absorber les yeux fermés… Cette souffrance, je dois apprendre à la savourer… Le chercheur d’or ne saurait s’attendre à ne trouver que de l’or. Il doit ramasser le sable au hasard au fond de la rivière. Il n’a pas le privilège de savoir à l’avance s’il réussira. Il se peut qu’il n’y ait pas d’or du tout et il se peut qu’il y en ait. Mais une chose est certaine : celui qui ne va pas à la recherche de l’or ne fait jamais fortune. »
L’amour, ce vocable si commode au premier coup d’œil, avait apporté un excès de signification dans la vie qu’il avait menée avec si peu de réflexion. De plus, il menaçait d’imposer à la vie qu’il mènerait à l’avenir une structure inutile. Il ne représentait pour lui qu’une notion n’offrant pas la moindre nécessité.
Avec quelle rapidité nous oublions nos actes ! Tandis que les sentiments s’attardent dans notre souvenir, nos actes disparaissent sans laisser de traces.
Un espoir dont on ne craint pas l’anéantissement n’est, en dernière analyse, qu’une sorte de désespoir.
Saburo ne prêta guère attention à ces mots « L’aimes-tu… ne l’aimes-tu pas ? » « Quelle perte de temps absurde, pensait-il. Elle parle de cette stupide affaire comme si elle suffisait à renverser le monde. »
Etsuko s’abandonna à ses pensées. « Le bruit de la pluie est pareil aux voix de dizaines de milliers de moines lisant des sutras. Yakichi bavarde, Kensuké bavarde, Chiéko bavarde … Ah, que les mots sont inutiles ! Quelle insignifiance ! Quelle futilité ! Quelle duperie que cet affairement perpétuel, cette dépense d’énergie pour une activité dépourvue de sens ! ».
Les gens qui ne portent que des vêtements de confection sont enclins à douter de l’existence des tailleurs. Et, bien que captivé par des tragédies de confection, ce couple était incapable de concevoir que les tragédies de certaines personnes sont faites sur mesure. Etsuko restait toujours pour eux une énigme.
Comme un auteur qui se croit un génie parce que ses livres ne se vendent pas, il pensait que le fait de n’être pas invité à faire des conférences témoignait de ce que le monde n’était pas prêt pour recevoir son message.
Qu’est-ce que l’amour ? Rien d’autre qu’un symbole épris d’un autre symbole. Et si l’on en vient au sexe, c’est l’anonyme épris de l’anonyme. Le chaos et le chaos, l’accouplement unisexuel de l’impersonnalité avec l’impersonnalité. Masculinité ? Féminité ? Où est la différence ?