Dès l'ouverture de son roman, l'autrice annonce le ton qu'elle choisira tout au long du livre : brisant d'emblée le quatrième mur, elle y dresse la liste de ses protagonistes, les esquissant chacun d'un bref portrait aussi désopilant qu'archétypal, les annonçant comme "seize personnages en quête d'auteur". Écrivain raté, vieille fille à marier, éternel étudiant sans promesse d'avenir, Lady issue d'un monde en déliquescence, diplomate assommant ou encore demi-mondaine devenue veuve d'un lord richissime : tous sont comme jetés en pâture au destin d'un hiver dans les Cotswolds tandis que l'autrice, démiurge débordant d'ironie, s'amuse à tirer les ficelles de ce savoureux chassé croisé.
Nancy Mitford y parle évidemment d'un univers qu'elle connait bien : sa fantasque famille connue pour son mode de vie volontairement extravagant, il ne fait aucun doute que ce "
Christmas Pudding" évoque quelque chose de l'effervescence des fêtes de fin d'année telles que ses soeurs et elle les ont connues dans leur manoir d'Asthall. Si l'autrice précise en début d'ouvrage que tous ses personnages sont purement fictifs, on imagine aisément qu'ils ont été inspirés par quelque aristocrate et Bright Young People qui ont alors constitué leur entourage, et dont certains originaux valaient très probablement largement des personnages de roman.
Car le comique de situation, aussi léger qu'il est acéré, nait souvent du décalage entre l'attitude attendue dans tel ou tel contexte et celle adoptée par ces membres de la haute société britannique, dont les us et coutumes traditionnels se heurtent de plein fouet à un monde en complète mutation sociale. "
Christmas Pudding "raconte cette société dans, disons, le mi-chemin de cette évolution, où la chute des uns fait autant rire que l'ascension des autres. En cela, une Lady Bobbin qui s'escrime à maintenir les traditions fait glousser le lecteur au même degré qu'un Paul Fotheringay, auteur incompris qui tente tant bien que mal (mais surtout mal) de gravir l'échelle sociale. On raffole de les voir ainsi batailler à chaque page du livre, d'autant que
Nancy Mitford aime chacun de ses personnages – si elle les malmène, ce n'est pas sans une affection certaine, affection que partage d'ailleurs le lecteur.
Dans la veine de P.G.Wodehouse et d'
Evelyn Waugh,
Nancy Mitford s'illustre ici dans un genre tout britannique qui survit particulièrement bien au passage des années. Là où le vaudeville français vieillit affreusement mal, l' "humor "à l'anglaise, entre cynisme, intelligence et loufoquerie, semble survivre aux ravages du temps grâce au raffinement et au flegme uniques de la perfide Albion.
En bref : Quelque part entre P.G.Wodehouse et
Evelyn Waugh,
Nancy Mitford nous sert ici un "Downton Abbey "où la crème de la crème anglaise est rehaussée à la sauce Worcestershire. Les personnages savoureux, le style subtilement caustique et les paysages enneigés des Cotswolds font de ce "
Christmas Pudding" un dessert explosif. Vous en reprendrez bien une part ?