AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,48

sur 321 notes
Rencontre capitale
Dans un court roman, Patrick Modiano part à la rencontre de personnes croisées dans les rues de Paris. Et nous donne par la même occasion une belle leçon de littérature.

Souvenirs dormants aurait aussi pu s'appeler Fugues et Rencontres. Car c'est bien à partir d'escapades et de noms, d'un visage que «notre» Prix Nobel a construit ce roman et, au-delà, une grande partie de son oeuvre. Au détour d'un paragraphe apparaît son discours de la méthode : « Je tente de mettre de l'ordre dans mes souvenirs. Chacun d'eux est une pièce de puzzle, mais il en manque beaucoup, de sorte que la plupart restent isolées. Parfois, je parviens à en rassembler trois ou quatre, mais pas plus. Alors, je note des bribes qui me reviennent dans le désordre, listes de noms ou de phrases très brèves. Je souhaite que ces noms comme des aimants en attirent de nouveaux à la surface et que ces bouts de phrases finissent par former des paragraphes et des chapitres qui s'enchaînent. En attendant, je passe mes journées dans l'un de ces grands hangars qui ressemblent aux garages d'autrefois, à la poursuite de personnes et d'objets perdus. »
Nous voici une fois de plus sur le terrain de jeu préféré de l'auteur de Place de l'Étoile, les rues de Paris. Des rues qu'il arpente avec bonheur, mais aussi avec nostalgie, se concentrant sur quelques points forts. À l'image de ces points lumineux qui s'affichaient sur les cartes de métro quand le voyageur appuyait sur le bouton de sa destination, il s'accroche à ces repères pour établir un itinéraire, construire une histoire. Et met en scène le principe découvert en lisant un livre d'ésotérisme, L'Éternel retour du même. « À chaque page, je me disais: si l'on pouvait revivre aux mêmes heures, aux mêmes endroits et dans les mêmes circonstances ce qu'on avait déjà vécu, mais le vivre beaucoup mieux que la première fois, sans les erreurs, les accrocs et les temps morts... ce serait comme de recopier au propre un manuscrit couvert de ratures... » Par la magie de la littérature, la faculté de faire naître de nouvelles images, de nouveaux souvenirs auprès de chacun des lecteurs, même quand ces derniers n'ont pas vécu dans les lieux, ni même l'époque décrite, on déguste cette madeleine (proustienne, cela va de soi) avec gourmandise.
Comme avec son opus précédent, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, ce qui compte, c'est bien la musique qui se dégage de ces pages, symphonie toujours inachevée, mais que l'on conserve longtemps en tête après avoir refermé le livre.

Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          321
"Je tente de mettre de l'ordre dans mes souvenirs. Chacun d'eux est une pièce de puzzle, mais il en manque beaucoup , de sorte que la plupart restent isolés."
Un narrateur essaye d'assembler les pièces du puzzle , difficile de faire le tri entre toutes les miettes de sa mémoire. entre celles qui se laissent attraper et celles qui se dérobent et veulent se faire oublier.
Paris , les années de sa jeunesse, des femmes connues, perdues de vue , retrouvées ou non et Paris toujours. Les jours de plein été, la chaleur, le désert des rues délaissées de leurs habitants et l'écriture de Modiano, j'allais dire la musique de Modiano . Juste quelques pages mais tant et tant de souvenirs ont surgi de ma propre mémoire ..
Nous retrouvons ici les thèmes chers à Patrick Modiano, le rêve n'est il pas réalité, les souvenirs ne permettent ils pas de vivre à nouveau les évènements passés? Alors il les dévide , il tire le fil de sa pelote de laine et nous raconte ...

Commenter  J’apprécie          244
Ce ne sont pas les "je me souviens" de Georges Perec. Mais du Modiano pur jus, toujours avec cette interminable quête de sa recherche du temps perdu, ce travail de reconstitution de la mémoire comme un puzzle que l'on tente d'assembler cinquante ans après. Qu'est-ce qui relève de la mémoire, qu'est-ce qui relève du rêve ou de l'imagination ? On ne saurait le dire mais est-ce si important ? Modiano nous entraine, d'un pas lent dans les quartiers de Paris, dans les cafés, toujours les cafés (des cafés ouverts, avec des clients dedans, assis à table et fumant une cigarette, si si, je vous jure !!) et en le suivant dans ses pérégrinations, on croise des passants, des passantes que l'on retrouve ailleurs, dans un autre quartier, quelquefois éloigné. Des petits bouts de vie qui vont s'imbriquer dans la sienne pour un temps, puis plus tard au hasard de la vie. Il semble y avoir de la nostalgie chez Modiano, un regard sur son adolescence vu depuis aujourd'hui à l'aide du futur antérieur (quelle belle jeunesse on aura eue). Ses sentiments pour les six femmes qui composent ce récit ne sont jamais exprimés, tout juste suggérés, quelquefois complètement occultés. J'aime sa solitude,son humilité, son côté introverti qui transparaît dans nombre de ses romans. Je termine avec ce couplet des Passantes que chantait Brassens car j'y ai pensé plusieurs fois en cours de lecture.

"Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir"

Challenge multi-défis 2021.
Commenter  J’apprécie          200
 Tous les ans, il revenait sur le môle, à l'entrée du vieux port de Pornic, avec ses toiles et ses pinceaux. Il disposait quelques-uns de ses tableaux sur le muret en pierre qui le séparait de l'eau et installait son chevalet face au château. Cette ancienne place forte - dont les fondations étaient léchées par la houle et en partie masquées par la végétation - datait du XVe siècle. Elle avait appartenu au célèbre Gilles de Rais, plus connu sous le nom de "Barbe-bleue".

 Inlassablement, le peintre reproduisait le même motif : le château posé sur le bord de l'océan avec à ses pieds quelques bateaux de plaisance. Au-dessus, les mouettes tournoyaient dans un ciel bleu où flottaient de rares nuages poudreux. Tous les étés, fidèle au poste, la casquette vissée sur sa tête aux cheveux grisonnants, l'œil rivé tantôt sur la toile tantôt sur le château, rien ne le divertissait de sa tâche : il peignait et repeignait sans cesse l'édifice. La précision de son trait et la beauté de ses couleurs attiraient le regard des touristes, et les habitués, comme moi, ne pouvaient pas envisager un été sans sa présence sur le port. J'éprouvais beaucoup d'admirations pour son talent et aussi, je m'interrogeais sur les raisons qui le poussaient à reproduire toujours le même thème. Seules des nuances de couleur et d'angle de vue permettaient de distinguer des différences dans son travail. En se consacrant à un seul sujet, il espérait atteindre une sorte de perfection. À quoi bon se disperser ? N'est-il pas plus efficace pour atteindre un but d'explorer un seul chemin ? Il me faisait songer à Balthazar Claës, un personnage de Balzac, qui sacrifie sa fortune, et même sa vie, à la recherche de la perfection. Le peintre du château était en quête d'absolue dans une démarche qui témoignait d'une modestie et d'une humilité artistiques sans pareil. Son génie ; c'était la constance, sa vertu ; l'abnégation, son talent ; l'amour de l'art. Aujourd'hui, il n'est plus, mais son souvenir demeure.

 Patrick Modiano appartient à cette famille d'artistes (Monet et ses "Nymphéas") qui tentent d'explorer tous les détails d'un sujet. L'œuvre de Modiano semble isolée et figée dans un espace-temps au milieu duquel tourne un monde qui offre pourtant tant de voies d'explorations. Il représente l'écrivain le plus singulier, le plus attachant, le plus modeste et le plus discret que je connaisse. Je n'ai lu que trois de ses livres, mais je retrouve chaque fois dans son œuvre un climat, une ambiance, une musique, un style unique au service d'un seul et unique objectif : reconstruire le puzzle de sa vie en puisant dans les souvenirs de son enfance. Son univers est circonscrit à une époque et un lieu : les années d'après-guerre à Paris. Le narrateur (Modiano lui-même) est marqué par l'absence de ses parents, un père instable aux activités louches et une mère comédienne :

« Vers quatorze ans, je m'étais habitué à marcher seul dans les rues, les jours de congé, quand le car du collège nous avait déposés à la Porte d'Orléans. Mes parents étaient absents, mon père occupé à ses affaires, tandis que ma mère jouait une pièce dans un théâtre de Pigalle. » (page 10).

 Ses livres ne forment qu'un seul livre, toujours le même : l'histoire d'un homme qui déambule dans les rues de Paris en quête de son identité. Il fait des rencontres, mais ne crée pas de liens durables, il ne communique pas vraiment ; il questionne. Ses fréquentations durent quelques semaines, quelques mois puis ses relations disparaissent, quelques années plus tard, il les croise par hasard sans oser les aborder, parfois, il reprend contact pour finir une conversation entamée quelques années plus tôt. La nostalgie domine, le mystère aussi. Il est question d'activité secrète, de spleen des dimanches soir, de souvenirs, de rêves. Les lieux qu'il fréquente sont les bars, les restaurants, les hôtels, les cabarets de Paris. Il y retrouve toujours une part de son enfance et fait la connaissance de personnalités troublantes, énigmatiques aux activités incertaines. Comme Geneviève Delame passionnée par les sciences occultes et aussi Madeleine Peraud disciple du maître spirituel Gurdjieff qui prétend que la plupart des humains sont dans un état hypnotique et qu'il détient la méthode permettant de les "réveiller". Le thème du rêve, du somnambulisme, revient très souvent dans ce livre, ses héros et le narrateur lui-même semblent marcher à côté de la vie :

« Elle me regardait droit dans les yeux, et ce regard provoquait chez moi un engourdissement, comme dans ces rêves où vous cherchez à fuir, mais où vous êtes cloué sur place » (page 47).

 Son obsession est de comprendre d'où il vient, il voudrait parfois aussi pouvoir changer le passé :

« Si l'on pouvait revivre aux mêmes heures, aux mêmes endroits et dans les mêmes circonstances ce qu'on avait déjà vécu, mais le vivre beaucoup mieux que la première fois, sans les erreurs, les accrocs et les temps morts…ce serait comme de recopier au propre un manuscrit couvert de ratures… » (page 58).

 Il pourchasse des fantômes :

« Paris, pour moi, est semé de fantômes, aussi nombreux que les stations de métro et tous leurs points lumineux, quand il vous arrivait d'appuyer sur les boutons du tableau des correspondances. » (page 18).

 La mémoire lui échappe et la réalité ensevelie sous la neige de l'oubli ressemble à un rêve :

« De temps en temps, il me semble que le café s'appelait Le Bar vert, à d'autres moments, ce souvenir s'estompe, comme les mots que vous venez d'entendre dans un rêve et qui vous échappent au réveil. » (page 20).

 Ce qui est caractéristique de l'œuvre et de la personnalité de Modiana c'est qu'il n'y a rien d'artificiel. Ce qu'il raconte témoigne de ce qu'il est, en toute sincérité, en toute vérité, cela se ressent. La part de fiction qu'il rajoute à ses souvenirs n'est qu'un liant pour combler les trous de sa mémoire. Il s'agit d'une fiction qui échappe au romanesque, l'invention est au service d'une vérité éprouvée.

 Pour mieux apprécier la personnalité de cet auteur qui, malgré son immense talent, traverse avec discrétion le monde de la littérature (il a refusé d'entrer à l'Académie française mais il a été couronné par le prix Goncourt en 1978 et le prix Nobel en 2014), je recommande de regarder au moins deux des entretiens qu'il a donnés à la télévision : le premier en 1969 à propos de "Ronde de nuit" pour une émission littéraire de TSR (Télévision Suisse Romande) et l'autre daté de 2019 pour François Busnuel. Son discours de réception du prix nobel de littérature est également un grand moment. Ses prises de parole sont rares, car il fuit les micros et les caméras. À l'oral, sa pensée est hésitante, heurtée, il s'exprime avec difficulté, commence trois phrases sans en terminer une seule. Mais ce manque d'habileté oratoire le rend encore plus sympathique, pIus spontané, plus attachant. Il est frappant de constater l'extrême modestie et l'humilité de cet homme ainsi que la constance de sa personnalité et de ses thèmes de prédilection.

 Je partage l'avis du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise Peter Englund qui considère que Modiano est le "Marcel Proust de notre temps".

Bibliographie :

- "Souvenirs dormants", Patrick Modiano, Gallimard folio (2019), 110 pages.
Commenter  J’apprécie          191
Je ne vais pas vous dire qu'avec Modiano on lit toujours le même roman, tout simplement parce que j'ai lu très peu de textes de cet auteur. Je les ai aimés mais pour des raisons, je dirais, non objectives : parce qu'il parle de Paris qui correspond chez lui à une espèce de géographie mentale. Il y a ses repères : quartiers, noms de rues, de boulevards, squares, immeubles, hôtels, cinémas, théâtres, lieux qui aident sa mémoire à fonctionner, lieux de souvenirs qui se réveillent lorsqu'au détour d'une déambulation incertaine, il passe, par hasard ou bien guidé par une volonté inconsciente, devant une porte connue, un café familier.
Paris est, pour Modiano, le lieu de l'enfance et de l'adolescence, de sensations inscrites au plus profond de lui-même, d'impressions indélébiles à l'origine même de son écriture : sentiment d'errance solitaire, de peur, d'abandon certainement.
Et il se trouve que cette espèce de « communion » qu'il vit avec Paris, je la partage. Je ne vis pas à Paris, j'allais écrire hélas mais j'ai appris à ne plus le faire. Résignée ? Peut-être. Mais c'est comme ça. J'y suis née, j'y ai vécu petite, j'y ai traîné ado, j'y ai fait mes études et c'est dans ces lieux que j'ai fixé mes premières impressions, celles qui demeureront à jamais. Hasard des mutations, il m'a fallu quitter cette ville que j'aimais. J'y retourne régulièrement mais je n'y vis pas. Parfois, je déambule aussi sur Google Map, découvre des coins inconnus que je vais voir « en vrai » plus tard, dès que les vacances arrivent. J'ai donc ce rapport très fort à Paris. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas objective : aimerais-je Modiano s'il parlait de Toulouse ou de Rennes ? Franchement, je n'en suis pas certaine.
Souvenirs dormants retrace donc l'évocation de six rencontres, parfois des retrouvailles, six femmes que le narrateur a croisées alors qu'il avait entre 15 et 22 ans, était un étudiant qui n'étudiait pas, six femmes que des lieux semblent ressusciter, remonter à la surface de la mémoire « comme des noyés au détour d'une rue ».
Six femmes ET leur adresse comme si Modiano avait besoin de repères fixes auxquels se raccrocher, comme si elles ne pouvaient exister qu'en étant inscrites dans une géographie parisienne précise : Mireille Ourousov, appartement de la mère quai de Conti, Geneviève Dalame, hôtel de la rue d'Armaillé, Madeleine Péraud, 9 rue du Val-de-Grâce, Madame Hubersen (le narrateur connaît son adresse), Martine Hayward, 2 avenue Rodin.
Si pour X raisons, elles changent d'arrondissement, elles sombrent dans l'oubli, n'existent plus, leur disparition est un mystère qu'il faut élucider.
Chez Modiano, on ne se perd pas dans le monde mais dans les rues de Paris.
D'ailleurs, retrouver une adresse, c'est reprendre ancrage, retrouver ses marques, autrement dit, revivre : « Mais, en sortant de l'immeuble, je ne voyais plus vraiment la raison d'être triste. Pour quelques mois encore ou, qui sait ?, quelques années, malgré la fuite du temps et les disparitions successives des gens et des choses, il y avait un point fixe : Geneviève Dalame. Rue de Quatrefages. Au numéro 5. »
Que dit-il de ces femmes ? Pas grand-chose ou des choses qu'on oublie après les avoir lues...
Qui sont-elles d'ailleurs, qu'ont-elles été pour le narrateur ? On ne le sait pas. Cinq sont nommées, la dernière (qui loge à St-Maur) restera anonyme car elle a commis un meurtre et le narrateur l'a aidée à fuir. Il n'y a peut-être pas encore prescription alors, il vaut mieux cacher le nom.
Réalité, fiction ? Que sont ces vagues souvenirs vieux de cinquante ans, images des années 50, 60 qui le hantent, qu'il essaie de comprendre ? Pourquoi ces obsessions, pourquoi ces mêmes noms qui reviennent dans les mêmes livres comme s'ils nous menaient (le menaient) vers une même énigme à élucider : une jeunesse douloureuse (sentiment d'abandon, volonté de fuir), une mère absente (elle est actrice, à Pigalle, au théâtre Fontaine ; est-elle celle qu'il recherche à travers toutes ces femmes ?), un père occupé à des affaires plus ou moins louches ? « Et vos parents ? » lui demande une de ces jeunes femmes « Je me suis brusquement rendu compte qu'à mon âge j'aurais pu avoir des parents qui m'auraient apporté une aide morale, affective ou matérielle. » Oui, il « aurait pu »…
Ces femmes semblent des repères auxquels le narrateur s'accroche, des points fixes dans une vie où le temps a effacé les visages et les paroles. de même qu'il est fasciné par ces anciens plans de métro où il suffisait d'appuyer sur une touche pour voir notre trajet éclairé par des petites ampoules colorées, trajet qui soudain semblait clair et limpide (ce que ne fut pas sa vie, loin de là), ces femmes sont des points fixes dans un passé qui s'efface chaque jour de plus en plus.
« J'ai pensé de nouveau à ces tableaux près des guichets du métro. A chaque station correspondait un bouton sur le clavier . Et il vous fallait presser le bouton pour savoir où vous deviez changer de ligne. Les trajets s'inscrivaient sur le plan en traits lumineux de couleurs différentes. J'étais sûr que dans l'avenir, il suffirait d'inscrire sur un écran le nom d'une personne que vous aviez croisée autrefois et un point rouge indiquerait l'endroit de Paris où vous pourriez la retrouver. »
« l'endroit de Paris » : chez Modiano, on ne quitte pas Paris et si on se risque à mettre un pied en dehors de la capitale, on tombe définitivement dans l'oubli. (Il m'énerve parfois et en même temps, c'est exactement pour ce genre de déclarations que je l'aime!)
Madeleine Péraud (une des femmes évoquées) dit en parlant de son amie, Geneviève Dalame, qu'elle est « absente de sa vie », qu'elle « marche à côté de sa vie » « Elle ne vous a jamais fait penser à une somnambule ? » demande-t-elle au narrateur.
C'est aussi l'impression que le narrateur (Modiano?) me donne à travers cette errance récurrente, obsessionnelle et follement inquiète, cette recherche sans fin et très incertaine, ces oublis douloureux, ces absences malgré les repères auxquels il s'accroche, les traces qu'il recherche mais qu'il ne retrouve pas nécessairement tellement Paris change.
Il dit souhaiter vivre une espèce de rêve éveillé que l'on pourrait diriger à sa guise, de « rêve lucide » à la manière d'Hervey de Saint-Denys dont il dit aimer le livre : Les Rêves et les moyens de les diriger; vivre une espèce de « rêve éveillé » dans des lieux qui gardent l'empreinte de ceux qui y sont passés autrefois et de leurs mystères (mystères des origines pour Modiano).
Cela revient-il à refuser sa vraie vie, à se protéger en restant à côté, en se retenant de fuir ou de basculer dans l'abîme ? Il y a comme une impossibilité chez Modiano d'adhérer complètement au moment présent comme s'il vivait toujours un autrefois, un avant, comme si les voix qui lui parvenaient n'étaient pas celles des gens vivants. C'est peut-être pour cela qu'il lui faudrait peut-être une deuxième vie, semblable à la première pour enfin parvenir à « en profiter » et éventuellement, être heureux : « si l'on pouvait revivre aux mêmes heures, aux mêmes endroits et dans les mêmes circonstances ce qu'on avait déjà vécu, mais le vivre beaucoup mieux que la première fois, sans les erreurs, les accrocs et les temps morts… ce serait comme de recopier au propre un manuscrit couvert de ratures… »
Recommencer la même chose autrement ?
Pas sûr que je le suivrai sur ce chemin-là...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
Commenter  J’apprécie          182
Quelques dizaines de pages d'une écriture anodine et légère pour dire l'insondable gravité d'être au monde. Modiano fait revivre ses souvenirs dormants en somnambule, à tâtons, dans une nuit qui lui appartient, riche et profonde. Il parle dans les dernières lignes de son livre de ces images de routes qui reviennent, sans que l'on ne sache plus quelles provinces elles traversaient. Là s'inscrit le mystère de sa propre vie, interrogée en boucle dans son oeuvre, comme un « Éternel retour au même » pour traquer les fêlures qui l'ont blessé.
Jeux d'ombres donc, où se glissent des noms, surgis de très loin pour esquisser des visages, des livres, des rues, des soirées, des chambres. A la façon d'un puzzle éclaté, Modiano nous parle d'un temps de souffrance, celui de la fin de son adolescence, celui des fugues avec cette impression de n'être jamais à sa place là où il se trouve. Est-ce pourquoi les lieux ont tant d'importance ? ils jalonnent l'écriture de l'auteur et le lire c'est aussi emprunter avec lui les rues et les boulevards de Paris, dans un cheminement sans fin. L'angoisse pourtant finit par s'estomper, le lecteur accompagne ce passage imperceptible, au gré d'un fait divers tragique, comme au sortir d'un rêve, rien ne semble plus comme avant.
Commenter  J’apprécie          171
Il faut prendre ce petit livre de Patrick Modiano comme un bouquet délicieux puisque cet auteur nobélisé n'a pas son pareil pour puiser dans ses souvenirs, les reliant chaque fois à des lieux de sa bonne ville de Paris. Souvenirs dormants réveillent une époque lointaine. Il avait 14 ans et marchait dans les rues. C'était en 1959. Sa mère jouait au théâtre et son père vaquait à ses affaires…
« Paris, pour moi, est peuplé de fantômes » et les tableaux du métro avec des points lumineux qui s'allumaient lorsqu'on appuyait sur le bouton permettant de trouver une correspondance à ne pas manquer, lui rappellent cette femme, Mireille Ourousov et son mari, Eddie.
Plus loin, plus tard, en 1964, il continue à explorer Paris et Patrick Modiano (Dora Bruder) l'avoue : « Je m'étais inscrit à la Sorbonne juste pour prolonger mon sursis militaire, mais je n'assistais jamais aux cours. » Il travaillait pour quelques libraires et était inscrit à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) en tant que parolier pour des chansons.
Les mystères de Paris l'attirent. Une certaine Geneviève Dalarme qui travaille pour les studios Polydor, lui présente son frère, un drôle d'olibrius dont il aura toutes les peines du monde à se débarrasser.
Des noms reviennent à sa mémoire. Une sombre histoire de meurtre, de revolver jeté dans une poubelle pour sauver cette Martine Hayward qui dit avoir tué Ludo F. Puis, le temps s'écoule, inexorable : « À mesure que passent les années, vous finissez sans doute par vous débarrasser de tous les poids que vous traîniez derrière vous et de tous les remords. »
Un petit détour par les sciences occultes, quelques titres de livres de chevet et ces Souvenirs dormants m'ont procuré un moment de grâce aux côtés d'un auteur dont la lecture repose et enchante.


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          150
"Mémoire de détails' de personnages qui apparaissent ici et là "comme des noyés qui remontent à la surface". Premières pages intéressantes, mais quand on découvre que ces mémoires sporadiques sont surtout pour l'écrivain et non pour le lecteur, on en perd vite le fil et l'intérêt.
Commenter  J’apprécie          146
Il faut lire, lire ,lire Modiano, comme si c'était défendu !
Commenter  J’apprécie          143
Lorsque j'ouvre un livre de Patrick Modiano, j'ai la sensation de feuilleter, de lire le même livre.

À chaque fois, je ressens un sentiment de déjà-vu. J'ai l'impression de faire les mêmes trajets et je découvre et redécouvre les mêmes personnages.

Oui, c'est l'univers de Patrick Modiano mais, à chaque fois, il avance au fil du temps, creuse plus profondément ses obsessions

Ses romans ne sont jamais vraiment autobiographiques, ni essai sur la mIl part toujours à la rencontre de ses fantômes dans les rues de Paris".

Il se penche avec mélancolie sur son passé qui est au demeurant mystérieux, il revit ses furtives rencontres de sa période d'adolescent. Il a le goût de "l'ésotérisme"

« Souvenirs Dormants « roman qui relate tout ce que je viens de dire.

Ce n'est pas facile de faire un commentaire sur l'univers de Patrick Modiano, on est dedans ou pas.

C'est émouvant !
Commenter  J’apprécie          133




Lecteurs (659) Voir plus



Quiz Voir plus

Patrick Modiano, presque...

La place de ... ?

l'étoile
la comète

5 questions
175 lecteurs ont répondu
Thème : Patrick ModianoCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..