Il faut prendre son temps pour savourer ce recueil de
poèmes où cohabitent des ombres de l'ancien et du Nouveau Monde. Il prodigue son plaisir littéraire au fil d'une lecture plus lente, entrecoupée de quelques recherches passionnantes (orbes, glissando, rapière, genus illium, roture, rhombe, acrotère, frimas, Algonquin, putto, pour ne donner que quelques exemples de termes inconnus par moi).
Le livre est divisé en trois parties : le Journal perdu de Paul de Chomedey, Seigneur de Maisonneuve (p. 7 à 16),
Variations sans palais (p. 17 à 74), et Alphabet noyé (p. 75 à 85).
La première partie est une rédaction imaginaire d'un journal intime de Paul de Chomedey, seigneur de Maisonneuve, ponctué de citations de la comédie le Misanthrope de
Molière. le message central de cette section, emprunté au dramaturge, est : « Il faut, il faut parler ». Pour rappel et comme indiqué sur Wikipédia : « Paul de Chomedey de Maisonneuve, né le 13 février 1612 à Neuville-sur-Vanne et mort le 9 septembre 1676 à Paris, est un officier français et l'un des fondateurs, avec Jeanne Mance, de la ville de Montréal ainsi que son premier gouverneur. » Il fut, comme indiqué également dans une note de l'autrice, le contemporain de
Molière. « On [y] avance dans le noir/obstinément » (p. 11) au doux parfum du lys.
La deuxième partie comprend des
poèmes dont les thèmes parcourent le paysage emblématique du Canada et des palais français (poétiquement) réinterprétés, « où la mer est/un des personnages principaux » (p. 24). Je retiens de beaux « verbes que l'on pioche dans le noir » (cf. Totem, p. 55) et qui nous donnent à lire des
poèmes d'une grande délicatesse comme Pas de danse (p. 43) ou l'excellent Glissando (p. 73).
Faire rimer « regard » avec « amarre » (p. 29) me semble très... rare ! Visitez vous aussi la Bruges de
Irina Moga, cette « Médée des voyelles » ! Un lyrisme subtile aux teintes baroques, qui vaut le détour et l'omniprésence de la mer. Très beau voyage poétique où l'on croise aussi Horace (p. 70).
L'alphabet noyé est un poème fait de courtes lignes, enchaînées sous l'en-tête de chaque lettre de l'alphabet et qui reprend l'idée d'
Arthur Rimbaud dans son poème Voyelles (« A noir, E blanc …etc. »). Ainsi, pour le C : « Tessons en verre, brisures du soleil qui fleurit /à minuit. » (p. 77). Plus abstrait et plus mystérieux, ce poème ne manque pas de charme. de A à Z… la mer !
Très belle découverte !