Et d'abord, arrêtons avec cette idée reçue, tenace et infondée : non !
Molière n'est pas mort sur scène en jouant
le Malade imaginaire ! Pas plus que Mozart n'a écrit son Requiem en prévision de sa propre mort ! Pas plus que Schubert n'est mort en s'étouffant avec une truite, ou Rossini avec un tournedos ! (pour les deux premiers je suis sûr, les deux autres je viens de les inventer, mais on ne sait jamais). Les légendes vont souvent dans le sens on aime les entendre : Mozart a écrit son Requiem en exécution d'une commande d'un client (qui ne se sentait pas bien sans doute), le comte von Walsegg. Et
Molière, s'il a bien eu un malaise au cours de la quatrième représentation du « Malade imaginaire », est mort dans son lit comme vous et moi, enfin je comme je souhaiterais que vous et moi… bref vous m'avez compris. !
Mourir en scène, c'est vraiment le top ! (c'est Dalida qui le dit), c'est comme pour un général, mourir sur un champ de bataille, ou un écrivain mourir en disant son discours d'admission à l'
Académie Française… La reconnaissance suprême ! Avouez que
Molière n'en avait pas besoin. Sa renommée n'a cessé de grandir au fil des siècles, mais il était déjà très haut placé dans le top50 de l'époque. 34 pièces répertoriées, la plupart figurent au hit-parade depuis trois siècles et demi, qui dit mieux ?
«
L'Avare » était un portrait de l'avarice, «
le Malade imaginaire » pourrait être un portrait de l'hypocondrie, mais il n'est pas que ça : c'est surtout un portrait de l'hypocrisie (moins appuyé que dans « Tartuffe », il s'attaque ici à l'hypocrisie médicale, incarnée par les médecins Purgon et Diafoirus, et à l'hypocrisie privée incarnée par Béline, la femme d'Argan)
Argan est un hypocondre, c'est-à-dire un malade imaginaire, ça pourrait ne pas avoir de conséquence, mais le malheur veut qu'ils soit entouré de « fâcheux » (terme d'époque pour dire casse-pieds, et quand je dis pieds…) et d'hypocrites (terme d'époque pour dire faux-culs) : sa femme Béline qui feint de le plaindre mais lorgne son héritage, et ses médecins Purgon et Diafoirus qui à force de soins constants, entretiennent la maladie plus qu'ils ne la combattent, et au passage, empochent les consultations (j'ai connu des garagistes qui sur ce point-là, ont dû faire des études de médecine). Argan est donc mal entouré. Heureusement sa servante Toinette, personne de bon sens qui voit bien le jeu de tout ce petit monde, veille au grain. Argan se met dans la tête de marier sa fille Angélique au fils du docteur Diafoirus. Mais Angélique aime Cléante et est aimée de ce dernier. Toinette met un place un stratagème pour faire tomber les masques : elle conseille à Argan de faire le mort pour tester les réactions de son entourage : le résultat est manifeste : Béline trépigne de joie à l'idée de l'héritage, Angélique est sincèrement désespérée de perdre son père, et les médecins se fâchent avec leur malade. Argan n'est toujours pas guéri de son hypocondrie, mais il consent au mariage des tourtereaux à condition que Cléante devienne médecin et s'occupe de son beau-père. Béralde, le frère d'Argan a une idée encore meilleure : pourquoi Argan ne deviendrait-il pas médecin lui-même ?
Avec « le Bourgois gentilhomme », «
le Malade imaginaire » est une des comédies les plus drôles de
Molière. L'auteur s'attaque avec jubilation à deux de ses cibles favorites : l'hypocrisie et la médecine. Il les combat avec son arme favorite, le ridicule. Notons également qu'Argan, comme Monsieur Jourdain, malgré leur « lubie » restent des bonshommes sympathiques, ce que ne seront jamais Harpagon, ni même Alceste, il est vrai que les affections qui les touchent (l'avarice et la misanthropie) sont autrement graves…
Enregistrement (très hautement) conseillé : une captation de 1976 de la Comédie -Française, mise en scène de Jean-Laurent Cochet, réalisation de Jean-Paul Carrère, avec
Jacques Charon (Argan) Jacques Eyser (Monsieur Diafoirus) Georges Descrières (Monsieur Purgon) Jacques Toja (Béralde)
Simon Eine (Monsieur Bonnefoi) Marcel Tristani (Monsieur Fleurant) Jean-Noël Sissia (Cléante) Philippe Rondest (Thomas Diafoirus)
Françoise Seigner (Toinette) Bérengère Dautun (Béline) Catherine Hiegel (Angélique) Emmanuelle Milloux (Louison)
(à retrouver comme d'hab sur le site à trésors de la boutique de la
Comédie-Française)