Sobibor.
Un nom que l'héroïne de ce roman découvre par hasard, sans en connaître la signification. Comme s'il était voué à disparaître, derrière l'image loupe que l'on a tendance à tendre aux nouvelles générations autour du seul camp d'Auschwitz, aujourd'hui lieu touristique détourné de sa fonction première par l'incroyable inconscience des visiteurs. Il y a eu d'autres camps, d'autres événements, d'autres histoires, petites ou grandes, petites et grandes, qui sombrent dans l'oubli, avec leurs témoins.
Sobibor vient rappeler à la conscience ce que l'on tente de taire, d'oublier.
Alain Molla s'est donné un objectif pédagogique : son récit s'adressera en particulier, par le naturel et la simplicité de l'écriture, à la jeunesse, aux adolescents qui se retrouveront dans le personnage d'Emma, lycéenne anorexique. le lien fait, psychologique, psychanalytique, avec le non-dit et le mensonge familiaux, est ténu, fragile, et quelque part, la justification qu'il en fait, malgré une rigueur et une véracité pourtant personnelle, puisque chaque cas est unique, cette justification peut poser question. Mais soit, l'objectif étant la prise de conscience, cette ficelle, superbement documentée et restituée, doit être un atout.
Molla prend pour son récit du quotidien du camp le parti d'un journal, celui d'un "collabo" engagé dans les LVF, antisémite convaincu, chargé à
Sobibor de l'organisation et des statistiques. Son personnage rappelle pour beaucoup Adolf Eichmann, qui apparaît d'ailleurs dans le récit, lui qui s'est décrit comme simple rouage bureaucrate aux ordres, témoin privilégié d'une horreur pour laquelle il suffisait de détourner le regard pour ne pas en être complice.
D'une manière assez inédite, prenant le point de vue du "bourreau" plutôt que de la victime, Molla parvient, sans mal, à provoquer révolte, rejet, mais aussi réflexion : la responsabilité, la culpabilité, le choix,... Et in fine, comment écrire son histoire, comment avancer, grandir, en tant que personne, peuple, pays, quand les fondations sont cimentées dans le mensonge et dans le sang.
Sobibor questionne la mémoire, en oeuvrant contre le plus grand et dangereux des négationnismes : l'oubli.