L'ermite

De retour au shack, Sam était entré sans afficher ie moindre sourire. Pour prolonger de quelque peu l’anxiété de Pauline qui, d’une main nerveuse, roulait sa viande hachée pour en faire des boulettes. Puis, coupant court à l’angoisse qu’il provoquait en elle, il la prit par les épaules, la regarda dans les yeux et lui dit: «Tu restes, Minoune! C’est arrangé!» Folle de joie, elle se serra contre lui, leva la tête et l’embrassa avec ardeur. «Tortillé» par ce baiser inattendu, il posa fermement ses deux mains sur ses fesses et lui murmura: «Toi pis moi, c’est à la vie, à la mort!» Elle suait à grosses gouttes, elle aurait voulu qu’il la renverse, qu’il la soudoie, mais il s’en dégagea pour lui dire: «Une discussion comme celle-là, ça ouvre l’appétit. Après, on aura toute la soirée, toute la nuit...» Mais il l’avait appelée «Minoune», un terme qu’il employait pour la première fois.

D’un geste brusque, d’une poigne virile, Sam la renversa sur le dos et laissa choir son corps musclé sur elle. Et c’est avec rigueur qu’il pénétra ce corps qui l’avait fait languir. Avec fureur, avec une envie folle de ne plus en sortir. Elle était en extase. La violence de la prise l’avait fait geindre, gémir, puis sourire. Jamais un homme ne lui avait fait l’amour avec une telle maîtrise. D’une rage qui se voulait douceur pour celle qui n’attendait que ce moment. D’une douceur qui devint rage pour celui qui, depuis si longtemps… Elle n’avait certes rien perdu pour attendre. Elle en payait le prix. Et lui, dégénéré, délivré de sa continence, la chevauchait de sa puissance, au gré des perles de sueur qui brillaient sur son crâne. Dans toute sa force, sans retenue, dans un langage obscène, comme deux peaux qui s’imprègnent l’une de l’autre, ce fut l’aboutissement. Ensemble! Au même moment! Il s’était mordu les gencives pour étouffer un râle. Elle, au summum de l’orgasme, avait laissé sortir un long cri de jouissance. Un cri si fort, si strident, que la veuve avait sursauté dans son lit.

Pour une fille de la ville, Pauline avait tout ce que ça prenait pour être une rude fille de la ferme. Du genre à porter dix enfants et à être, de plus, la nourrice de plusieurs autres. «Une fille forte. Une brave fille, songea-t-il. Et bien tournée à part ça.» Et Piquet qui lui disait qu’il n’aurait qu’une bouche de plus à nourrir… À voir ses rondeurs, c’était plutôt un ventre qu’il aurait à remplir. «Ça doit manger comme un bœuf, une fille comme ça!» craignait-il.

C’était Clarisse, ma vie, le reste du monde n’existait plus. Sans elle, tout seul, j’me suis jeté dans mon travail. Et j’en ai ciré des souliers! Du matin jusqu’au soir! Pis, y’a eu la Première Guerre. J’ai été enrôlé, j’suis allé combattre, j’ai failli crever plusieurs fois, mais j’m’en suis sorti avec un doigt-fesses en souvenir. Pas même une médaille, juste un doigt cousu pour la patrie. Après la guerre, j’ai repris mon commerce. Tobie m’attendait, personne n’avait pris ma place. Et c’est là, dans le sous-sol de l’édifice où Tobie coupait les cheveux, que j’ai passé ma vie. Avec ses bons pis ses mauvais côtés, avec ses plaisirs, ses malheurs, jusqu’à c’que j’me ramasse ici. J’ai… j’ai pas grand-chose à dire de plus, Pauline.

Et toujours rien en retour. Même s’ils se dévêtaient chaque soir l’un devant l’autre, même s’il lui exhibait, parfois tendu, son membre en quête… et pour cause. Non pas que Pauline ne se «tortillait» pas sur le sofa. Elle était certes en manque, elle aussi. Sam l’attirait. Sam la tenaillait. La chair appelait la chair… Lui comme elle attendait que l’un des deux fasse les premiers pas ou que la nature s’en charge. Mais le moment n’arrivait pas, et c’était l’attente qui mettait Sam dans tous ses états. Il aurait voulu qu’elle… Elle souhaitait que lui… Et, pendant que Sam s’endormait sur ses pulsions, elle, sur ses désirs, ils étaient tous deux «voyeurs». Voyeurs l’un de l’autre, dans une espèce de fausse pudeur.