AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,59

sur 677 notes
Ceci n'est pas un traité ! L'Utopie est, une satire. Une satire contre l'armée, le capitalisme, et le clergé (avant la lettre).
L'humaniste, Thomas More, se réfère dans son livre à différents courants de pensée : à La République de Platon, en y faisant maintes références ; au naturalisme épicurien (c'est-à-dire, vivre selon la nature, telle est la définition de la vertu selon les Utopiens) ; et le stoïcisme dans les passages sur le suicide.
Utopie ? Certes ! Mais une utopie qui est fortement ancrée dans la réalité.
L'île d'Utopie, avec ses jardins où l'on fait du service agricole et son art du commerce, ressemble à l'Angleterre.
En matière de politique étrangère, l'auteur se montre machiavélien, justifiant la trahison par le refus du sang versé.
On ressent, également, dans cette satire, un certain conformisme moral et religieux : condamnation de l'union libre et de l'adultère ; et éloge de l'autorité de pape (le christianisme existe chez les Utopiens...).
Toutefois et selon ses propres propos : « Cette philosophie scolastique est à sa place dans un entretien familier entre amis ; elle est hors de propos dans les conseils des rois, et en face du pouvoir suprême. » On sent chez Thomas More, comme un homme bridé par la réalité, soit qu'elle vienne enluminer et animer son imagination, soit qu'elle l'enracine dans certains préjugés étroits, soit qu'elle l'invite à choisir cette voie oblique, que finalement il refusa.
Commenter  J’apprécie          140
Voici un grand classique de la littérature d'idées du XVIème siècle qui m'attendait depuis un sacré bout de temps dans ma bibliothèque. Sans me l'expliquer, j'ai toujours eu une petite appréhension à m'y mettre, alors que l'ouvrage n'est en soi pas bien conséquent, surtout quand on a lu un des autres chantres de l'Humanisme, Montaigne

Je regrette en fin de compte cette appréhension quant à la forme : est-ce la traduction (je n'irai de toute façon pas vérifier en latin) ? , mais j'ai trouvé l'écriture de Thomas More résolument moderne. Elle l'est moins dans la présence d'un dialogue entre plusieurs personnages ou dans l'utilisation d'une personne tierce pour présenter des idées pas toujours bien acceptées (de bonnes vieilles habitudes dans ce genre de textes), que dans des structures de phrases simples, des arguments clairs et bien organisés, qui rendent le cheminement fluide dans les deux parties. le découpage en deux parties, l'une évoquant la situation en Angleterre, l'autre présentant celle d'Utopia, cette île soi-disant visitée par Raphaël, un des protagonistes qui converse avec Thomas, est tout aussi clair et agréable. Je comprends mieux pourquoi L'utopie est de nos jours plus volontiers lue que les Essais : ce n'est pas qu'une question de brièveté !

Quant au fond, j'avoue que j'ai eu bien plus de mal, puisque Thomas More, par l'intermédiaire de Raphaël, tente tant bien que mal de défendre le bien fondé de ses idées progressistes, éminemment révolutionnaires pour l'époque (partage des biens dans la communauté, égalité d'un point de vue politique, culturel…), mais nombre de ses propositions sont tout aussi limites que ce qui se passe en Angleterre à son époque (instauration de l'esclavage plutôt que la prison, place des femmes qui ne change pas d'un pouce…). Ce qui me gêne le plus, c'est son idée principale : tout le monde, ou presque, se doit d'être semblable, que ce soit matériellement (ce qui est pour moi positif) ou culturellement (là j'ai un peu plus de mal) : que devient alors la notion de libre-arbitre, tout le monde devant non seulement « posséder » la même chose, mais aussi posséder le même savoir ? J'aurais personnellement du mal à être entourée d'une armée de clones… L'on sent malgré tout que Thomas More cherche des solutions, même si maladroites, pour endiguer la corruption, la violence, les inégalités… de plus en plus grandissantes dans son pays, le révoltant au plus haut point. C'est là que je me dis que certes, Montaigne est plus indigeste stylistiquement parlant, mais il avait le mérite d'avoir des idées complètement progressistes ; de l'art de ne pas être théologien…

L'utopie fut malgré tout une lecture passionnante, même si je suis loin d'être d'accord sur le fond, car l'on comprend que Thomas More avait déjà cerné les travers de notre société moderne, qui sont malheureusement toujours d'actualité, tout en essayant de les annihiler ; l'on comprend également pourquoi une utopie se nomme une utopie.
Lien : https://lartetletreblog.fr/2..
Commenter  J’apprécie          122
L'Utopie, un livre, que dis-je, un monde qui fait rêver ! Ce livre est assez difficile à lire, je dois avouer que parfois, je lisais certains passages sans toutefois les comprendre. Thomas More décrit l'Utopie, un monde imaginaire et parfait, il décrit les conditions et modes de vie des habitants, la religion à laquelle ils croient, les guerres, et toute sorte de politique, république et autre, qui gouvernent ce monde-ci. Je n'ai pas totalement adhéré, je m'ennuyais un peu dans certains passages descriptifs, j'essayais néanmoins de me forcer à continuer à lire. Je suis quand même contente d'avoir fini ce roman philosophique, ça m'a permit de rêver, le temps d'une lecture, d'un monde parfait, égal, sans violence ni guerre.
Commenter  J’apprécie          120
Ce texte majeur de l'histoire politique a été écrit en 1516, par Thomas More, conseiller du roi d'Angleterre Henri VIII.
Critiquant les abus de la société anglaise et des classes dominantes, More dresse le portrait d'une société idéale, inventant au passage le mot d'utopie qui aura une longue carrière devant lui.
Le texte est profondément moderne par certains aspects : tolérance religieuse, partage du travail entrainant une réduction du temps de travail, euthanasie, service agricole obligatoire qui n'est pas sans rappeler la Chine de Mao… La société imaginée par Thomas More demeure nationaliste et assez cynique dans son approche des relations extérieures. Sur ce dernier point, il annonce des siècles de politique britannique.
Pourtant, de l'utopie à la dystopie, il n'y a qu'un pas, qui semble facile à franchir dès qu'on imagine la réalité pratique de cette ile d'Utopie, où la place laissée à la liberté individuelle est laissé à sa portion congrue. Esclavage, puritanisme, collectivisme forcé, châtiments corporels. Il y a peu de place pour les esprits rebelles, ou simplement libres et indépendants, dans cette île.
Le texte, relativement court se lit assez facilement. Montesquieu s'annonce déjà, avec deux cents ans d'avance.
Commenter  J’apprécie          110
Ouvrage fondateur du genre, L'Utopie de Thomas More se compose de deux livres. Dans le premier, le narrateur rencontre un certain Raphaël qui au cours de ses voyages fait bien des découvertes mais tient à lui raconter son séjour sur l'île d'Utopie. Séjour narré dans le livre second et qui reprend l'organisation sociale de la société utopienne: de la guerre à la religion en passant par l'éducation et l'institution du mariage. Par ce procedé de déplacement géographique et imaginaire l'auteur peut se permettre de réflechir au bon fonctionnement de la societé et d'y voir l'écart avec la sienne et malheureusement aussi avec la notre.
Commenter  J’apprécie          100
Emigrerais-je en Utopie? Sans doute non, car non seulement cet Etat parfait n'existe pas, mais aussi car il me paraît bourré de défauts : structure politique rigide, société très cadrée, liberté religieuse relative, existence de l'esclavage, etc. Bref, l'envers d'une époque passée en reflète aussi les vices. le nouveau monde souhaité s'écarte des idées toutes faites de l'ancien, mais jamais assez pour devenir radicalement neuf. Utopie est un Etat idéal dans un monde en période de Renaissance, avant le retour de la pensée démocratique, et lui apportant du grain à moudre. Que retenir donc de cette utopie? Son principe phare, jamais essayé : la supression de l'argent. Si l'on devait réinventer une île d'Utopie aujourd'hui, et on doit le faire, il me semble que cette idée-là serait conservée, tant la quête des richesses déchire l'humanité, tant elle est créatrice d'injustice et de pauvreté. Seulement, comment le faire sans sombrer dans le communisme? Comment abolir la propriété privée sans tuer avec elle le soin que l'on apporte à ce qui nous appartient? Comment concilier le bien de tous avec le bien de chaque individu? Ces questions semblent insolubles. Ce n'est pas une raison pour ne pas les poser, et ne pas tenter, en tâtonnant, d'y donner des réponses. A l'heure du pragmatique roi, il est urgent d'être utopiste.
Commenter  J’apprécie          100
Thomas More, philosophe et homme politique anglais, est né en 1478. Il a 24 ans lorsque Gutenberg met au point la technique de l'imprimerie et diffuse le premier livre imprimé, la fameuse bible à 42 lignes. C'est une révolution comparable à celle de l'internet (on est passé de 1000 ordinateurs connectés en 1984 à 5 milliards aujourd'hui). le changement est de même nature, il permet une accélération de la diffusion de l'information et de la connaissance dans tous les domaines et sur toute la planète. Son livre « L'Utopie » est imprimé en 1516, il s'agit d'un pamphlet contre les moeurs de son temps dominé par la tyrannie exercée par les gouvernants et par la l'égoïsme des plus riches qui exploite les plus démunis. Thomas More est un humaniste en parfaite communion intellectuelle avec Érasme. Son projet est d'essayer de montrer comment on peut construire une société sur des fondements rationnels qui met le bonheur des hommes au centre des préoccupations en faisant reposer les structures de l'État sur des lois justes et morales.

Il invente le concept d'Utopie, mot construit à partir du grec ancien et qui veut dire « Qui n'existe pas ». Dans le sens courant, une utopie décrit un idéal, un projet d'organisation politique qui semble illusoire ou chimérique. le personnage central du livre, Raphaël Hythloday fait le récit des cinq ans qu'il vient de passer dans l'île d'Utopie. Un pays où tous les habitants jouissent d'une paix garantit par leur organisation politique ou règne la plus grande justice, car « l'indigence et la misère dégradent le courage, abrutissent les âmes, les façonnent à la souffrance et à l'esclavage et les compriment au point de leur ôter l'énergie nécessaire pour secouer le joug » (page 42).

Les idées exprimées dans ce livre sont toutes aussi valables pour notre temps. le maintien d'un prolétariat dans la précarité, dernier maillon de la chaîne sociale, impuissant à répercuter les pressions qu'il subit et menacé de chômage s'il revendique une amélioration de son sort hôte à celui-ci la capacité à se mobiliser pour contester le pouvoir en place.

Dans la bouche de Raphaël, Thomas More décrit une société ou la propriété est abolie. C'est pour lui l'unique moyen de distribuer des biens avec égalité, avec justice et de constituer le bonheur du genre humain. « Tant que le droit de propriété sera le fondement de l'édifice social, la classe la plus nombreuse et la plus estimable n'aura en partage que disette, tourments et désespoirs » (Page 49).

Sur Utopie la journée de travail est de 6 h. Il n'y a pas d'arts vains et frivoles qui s'exercent au service du luxe (un enfer pour LVMH). Les Utopiens s'habillent de cuir ou de peau. Ce vêtement peut durer 7 ans (La sobriété est au rendez-vous). Lorsqu'il y a abondance de produit, un décret autorise une diminution du temps de travail (pas de croissance à tout va). « Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d'abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s'affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l'étude des sciences et des lettres. C'est dans ce développement complet qu'ils font consister le vrai bonheur » (Page 66).

Sur Utopie l'or et l'argent n'ont pas plus de valeur que le fer, chaque matériau est valorisé en fonction de son intérêt pratique. Les Utopiens interdisent la chasse et les jeux de hasard. On ne doit tuer les animaux que par nécessité tandis que le chasseur cherche dans le sang et le meurtre une stérile jouissance. Les Utopiens pratiquent l'euthanasie pour les malades incurables qui le souhaitent. Ils considèrent que la guerre est une chose brutalement animale et que l'homme commet plus fréquemment qu'aucune espèce de bêtes féroces. Ils ne font la guerre que pour se défendre d'une invasion ou pour porter secours à un peuple sous le joug d'un tyran.

En matière de religion les Utopiens sont libres, mais la plus grande partie des habitants ne reconnaît qu'un seul Dieu (Thomas More est vénéré comme saint pas l'Église catholique). Les prêtes peuvent se marier et les femmes ne sont pas exclues du sacerdoce.

La dissimulation est proscrite en Utopie et le mensonge y est en horreur.

Toutefois, à côté de cet éloge d'une société réputée faire le bonheur des hommes il y a encore une certaine dureté propre aux moeurs du temps. Ainsi, l'esclavage est encore pratiqué (mais seuls les prisonniers de guerre pris les armes à la main sont livrés à l'esclavage). La peine de mort est requise pour les récidivistes de l'adultère. Ce mélange de douceur et d'intransigeance surprend un peu le lecteur d'autant plus que malgré tous les avantages présentés par cette civilisation Utopienne, Thomas More ne semble pas en accepter tous les principes. À la fin de l'ouvrage l'auteur précise qu'au terme du récit de Raphaël il lui revint à l'esprit qu'un grand nombre de choses lui paraissent absurdes dans les lois et les moeurs des Utopiens. Ce qui surtout renversait ses idées, c'était le fondement sur lequel s'est édifiée cette république étrange, cette communauté de vie et de biens, sans commerce d'argent. Ces considérations laissent penser que l'auteur n'est pas complètement convaincu par le récit de Raphaël. Il conclut en effet par ces mots « Car si, d'un côté, je ne puis consentir à tout ce qui a été dit par cet homme, d'un autre côté, je confesse aisément qu'il y a chez les Utopiens une foule de choses que je souhaite voir établies dans nos cités. Je le souhaite plus que je ne l'espère. » Cette conclusion semble avoir été construite pour éviter que ne s'abattent sur lui les foudres des princes gouvernants qui verraient d'un très mauvais oeil une révolution politique de cette ampleur. Il se comporte un peu comme Copernic qui conserva secrète ses découvertes scientifiques avant de les publier seulement au seuil de la mort afin de ne pas avoir à subir de répression de la part de l'Église.

Toutefois Thomas More n'échappa pas à la barbarie de son époque (dont on perçoit encore quelques échos de nos jours) puisqu'il fut décapité sur l'ordre de son roi Henri VIII en 1535 pour « divergence d'opinions ».

Un livre étonnant pour l'époque et qui témoigne de la capacité visionnaire d'un homme exceptionnel qui tente de répondre à des questions de sociétes qui sont encore les notres aujourd'hui : le pouvoir des gouvernants et ses dérives, les buts que doivent se fixer les organisations politiques, l'économie, les conditions et le temps de travail, le partage des richesses, la protection des plus faibles, la guerre, la justice, la liberté de religion, la culture et bien d'autres thèmes d'actualité.

— « L'Utopie », Thomas More, Librio (2018) 126 pages.
Commenter  J’apprécie          90
Bonheur. Voilà un mot que l'on attend pas forcément en lisant une fiction politique écrite en 1516. Vous avez bien lu : 1516. Pour rappel, Marignan, c'est 1515. A cette époque, personne n'utilisait ce mot.
Pourquoi ce mot, et pourquoi ce livre ?
A l'époque, le mot « bonheur » n'existait pas dans le champ lexical d'une Europe pétrie de religion qui utilisait presque exclusivement le mot Paradis.
Mais voilà qu'un Anglais, érudit et au destin bien curieux, écrit cette curieuse histoire. L'histoire une île appelée Utopie, sur laquelle existe une société totalement différente de tout ce qui a été fait jusque là – particulièrement en Europe – et sur laquelle règne une vraie forme de « bonheur ». Un bonheur, auquel on peut ajouter, une justice pour tous, une éducation pour tous (ou presque), une tolérance religieuse qui fait vivre en harmonie toutes sortes de chapelles, une abondance économique généralisée qui fait qu'on n'y connaît plus ni la faim ni le manque. Et que tous y sont très influencés par les grands penseurs Grecs alors que les auteurs Latins et leurs affidés, les Pères de l'Eglise, sont largement inconnus.
Bref, tout l'inverse de ce que connaît la « vieille Europe » et particulièrement la « vieille Angleterre ».
Pourquoi More, ami très proche d'Erasme, décrit-il un tel lieu dont le nom ne veut rien dire d'autre que « le lieu qui n'existe pas (Ou = nul + topos = le lieu, en grec) » ?
Pour comprendre, il faut comme toujours remettre en contexte. En 1516, l'Angleterre est gouvernée par la nouvelle dynastie des Tudor. Une famille anglaise qui sort miraculeusement gagnante de la terrible Guerre des Deux roses qui dura près de 30 ans (une guerre civile qui fit des dizaines de milliers de morts) qui elle-même prit la suite immédiate d'une autre « petite » guerre, la bien nommée Guerre de Cent ans (une guerre que l'Angleterre a perdu et qui dura la bagatelle de 120 ans et qui, comble de malheur, se doubla de la Grande peste qui élimina plus du tiers de la population). En ce début de XVIe siècle, l'Angleterre est donc à genou.
Les bras manquent partout pour travailler la terre et produire la nourriture. C'est alors que les Tudor ont la brillante idée de nommer de nouveaux nobles à la tête des domaines laissés vacants par les guerres et l'épidémie. Ceux-ci sont choisis parmi la bourgeoisie marchande (il n'y a plus de familles nobles!) et sont en fait des commerçants bien davantage que des propriétaires terriens. Plutôt que de tenter de travailler la terre, ils décident de tourner le dos à l'agriculture pour transformer les terres en pâturages, notamment pour l'élevage des moutons. Un seul pâtre peut faire fructifier des hectares de prés tandis qu'il faut des centaines de bras pour produire une récolte. Ce sera le phénomène des « enclosures » qui ruinera la paysannerie anglaise et jettera sur les routes toute une population victime d'une une misère noire.

Pouvait-on imaginer pire situation ?

More s'y refuse et voilà pourquoi, il imagine un possible paradis sur Terre qu'il nomme Utopie, sans grande illusion d'ailleurs. Non sans raison, après une éphémère carrière politique, il finira en prison et sera décapité.

Si ce curieux texte de More nous apprend quelque chose, la leçon en est simple : les dirigeants, avant de lancer une guerre, devraient y réfléchir à deux fois. Les choses ne se passent jamais comme prévu. Xi Jing Ping qui lorgne sur Taïwan, Poutine qui lorgne sur l'Ukraine, et combien d'autres feraient bien de lire More et même de s'en souvenir.
Commenter  J’apprécie          90
La postérité de More, canonisé par Pie XI et honoré par Lénine comme précurseur du socialisme, est tout aussi étrange que sa vie et son oeuvre. On trouve ailleurs l'analyse de la société, de l'économie, de la politique ou de la religion dans l'île d'Utopie. En ce qui concerne la vie privée, le mélange de hardiesse et de conservatisme laisse songeur. Les femmes et les hommes qui ont reçu la même éducation participent également à une journée de travail de six heures. Les femmes accompagnent les hommes à la guerre et « ne sont pas exclues du sacerdoce ». le divorce par consentement mutuel est autorisé. Pourtant la hiérarchie de genre persiste et More ignore le travail domestique des femmes : « Le plus âgé des hommes, je l'ai dit, est le chef de la famille. Les femmes sont soumises à leur mari, les enfants à leurs parents et, en règle générale, les plus jeunes à leurs aînés » (p 156). En ville les repas sont pris à heures fixes dans de vastes salles : « Des esclaves accomplissent dans ce réfectoire les besognes quelque peu malpropres et fatigantes. La cuisine, la préparation des aliments et l'ordonnance du repas incombent exclusivement à des femmes, chaque famille envoyant les siennes à tour de rôle […]. Les adolescents — et l'on range dans cette classe tous ceux de l'un ou l'autre sexe qui n'ont pas atteint l'âge de se marier — servent les convives assis ou bien, s'ils sont trop petits pour cela, se tiennent en silence à côté d'eux » (p 160).

Comment se forment les familles ? « Une fille ne se marie pas avant sa vingt-deuxième année, un garçon avant sa vingt-sixième. Une fille ou un garçon convaincus d'amours clandestines sont sévèrement punis et tout mariage leur est désormais interdit » (!) (p 191). le choix d'un conjoint est innovant : “La femme, qu'elle soit vierge ou veuve, est montrée nue au prétendant par une femme honnête ; un homme également digne de confiance montre à la jeune fille le prétendant nu”.

Et le plaisir ? Les utopiens « divisent en deux espèces les plaisirs du corps. La première comprend l'agrément évident, certain, qui inonde les sens, comme il arrive d'abord quand se renouvellent les éléments dont se nourrit notre chaleur vitale, restaurés par la nourriture et la boisson, et aussi quand s'évacue tout ce que notre corps contient en excès. Ce plaisir nous est procuré quand nous libérons les intestins des excréments, ou quand nous engendrons des enfants, ou quand nous adoucissons des démangeaisons, en nous frottant, en nous grattant la peau” […] « Les plaisirs de la seconde espèce résultent du repos et de l'équilibre du corps » (p 180-1). More est ici plus trivial ou plus dédaigneux que Démocrite.

Comment fonctionnent les familles ? Dans les campagnes, « un ménage agricole se compose d'au moins 40 personnes, hommes et femmes, sans compter deux serfs attachés à la glèbe. Un homme et une femme, gens sérieux et expérimentés, servent de père ou de mère à tout ce monde […]. Dans chaque ménage, vingt personnes chaque année retournent en ville après avoir passé deux ans à la campagne » (p 139-140). En ville, « … on évite qu'aucune famille — il y en a six mille dans chaque cité, sans compter des districts ruraux — ait moins de dix ou plus de seize membres adultes. le nombre des enfants ne saurait être limité » (p 155). Ces familles urbaines habitent une maison qu'on échange tous les dix ans et doivent deux ans de service à l'agriculture. Comment se font ces échanges biennal et décennal ?

La maladie et la mort. Il y a quatre hôpitaux autour de chaque ville et ce ne sont pas des mouroirs comme au seizième siècle : « La présence de médecins expérimentés y est si constante que, bien que personne ne soit obligé de s'y rendre, il n'y a pour ainsi dire personne dans la ville entière qui ne préfère, lorsqu'il tombe malade, être soigné à l'hôpital plutôt que chez lui » (p 158). Chose extraordinaire pour l'époque, Thomas More justifie l'euthanasie : « Si quelqu'un est atteint d'une maladie incurable, ils cherchent à lui rendre la vie tolérable en l'assistant, en l'encourageant, en recourant à tous les médicaments capables d'adoucir ses souffrances. Mais lorsqu'à un mal sans espoir s'ajoutent des tortures perpétuelles, les prêtres et les magistrats viennent trouver le patient et lui exposent qu'il ne peut plus s'acquitter d'aucune des tâches de la vie, qu'il est à charge à lui-même et aux autres, qu'il survit à sa propre mort, qu'il n'est pas sage de nourrir plus longtemps le mal qui le dévore, qu'il ne doit pas reculer devant la mort […]. Ceux que ce discours persuade se laissent mourir de faim, ou bien sont endormis et se trouvent délivrés sans même avoir senti qu'ils meurent. On ne supprime aucun malade sans son assentiment et on ne ralentit pas les soins à l'égard de celui qui le refuse » (p 190-1).

Et la démographie ? L'ile est stable dans sa population et ses institutions depuis sa fondation par Utopus, 1760 ans avant la visite de Raphaël Hythlodée qui y passe cinq ans avant sa narration en 1516, ce qui la fait remonter à l'an 249 avant notre ère. Elle comporte 54 villes de 6000 familles de 10 à 16 membres adultes (soit 3 240 000 à 5 184 000 habitants), sans compter les enfants et les districts ruraux. Avec de telles familles, elle aurait dû croître monstrueusement. La solution est la formation de colonies : « Si les indigènes refusent d'accepter leurs lois, les Utopiens les chassent du territoire qu'ils ont choisi et ils luttent à main armée contre ceux qui leur résistent » (p 155). Les esclaves, les colonies de peuplement, summum jus, summa injuria.
Commenter  J’apprécie          92
Une oeuvre extrêmement importante, qui a ouvert la voie à la science-fiction et à ses dystopies... Car oui, il ne s'agit pas ici de l'Utopie au sens pays parfait, système rêvé. Thomas More, à travers la structure du dialogue, en fait la démonstration. Certes, les personnages ne se prononcent pas explicitement, mais au vu des failles énoncées dans la deuxième partie, la fameuse Utopie est davantage un contre-modèle.
Commenter  J’apprécie          90




Lecteurs (2321) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
440 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}