Fugue
Tandis que les voix montent et que la salle se vide, la nuit vient déjà, les murs de plâtre absorbent la lumière, la porte a dû rester ouverte, on entend les souliers sonner sur les grandes marches de granit.
Plus tard les réverbères s’allument dans le bourg, on peut compter les coups de l’horloge enrouée du vieux collège. Il n’y a plus ni aumôniers ni maîtres, des ombres qui resserrent les préaux, des prières qui rôdent sous les ormes de la chapelle, des odeurs de potage ou de viandes qui ont déjà cuit très longtemps, et loin dans la distance la leçon de violon étirant sans fin la même sonate.
Les cyprès sont noirs, on se retire à pas de loup, et pendant que les murs de la classe se rapprochent, seul le marteau du cordonnier s’entend parfois au bas du bourg.
Parfois le prêtre vient chercher sa Bible. Il ferma la salle, à gros bruit de verrous, sans jamais penser à savoir si des enfants sont là, dans la classe, ou peut-être dehors, à le regarder, du fond de la réserve aux livres qui forme un creux dans le couloir.
Les soirs de fin d’hiver, presque au printemps déjà, tout se grave alors, tout devait se résoudre en cette présence dans le bruit des arbres, et comme on les retrouve autour de soi, ces grands couloirs de pierre du collège, ces escaliers à vis des tourelles, creusant l’ombre, donnant profondeur et mystère aux paroles recluses, on pense avoir droit de rester clandestin pour des éternités.
Avec l’avancée de l’hiver, les grêlons sur les vitres, les transparences du jour au lieu de la pluie habituelle, et ce son qui s’étire au loin, qui tend aussi à sa transparence, tout devient mince et tendu sur le vide.
Ce rossignol de verre dont on jouait près du ruisseau, le son du violon qui s’étire.
L’adolescence avant l’adolescence.
Orée
Rêveurs au front léger
Longeant à pas de loup le bord des ombres
Ils glissent doucement vers les orées
Où vont les chercheurs de fleurs de fougère
Puis se fondent sans bruit dans l’abri des feuillages
Et sentent la forêt qui les protège.
Vide
Les doigts clairs les talons durcis
Le front se durcissant aussi contre la vitre
Il attend dans le froid de la chambre
De voir passer la femme en robe noire
Il revoit les années perdues d‘attendre
En vain pour simplement rester fidèle au rêve
D’être à elle et de vivre auprès de ses pensées
Comme le temps se ferme en cercle autour de lui
Le bruit de ses souliers ferrés résonne
Avec le même écho jour après jour
Tandis qu’elle s’avance dans le bourg désert
Au retour d’être allée fermer l’église.
Passagers clandestins
Et confiant dans ce sentiment d’être abandonné, laissé au hasard du sort, si loin des préoccupations qui assaillent les femmes à l’abri des maisons remplies de meubles lourds, ils se réfugient dans l’église pour dire des aventures où glissent des trouveurs de terres inconnues, inventeurs de trésors, passagers clandestins enfermés dans des caisses au milieu des anufrages, Romain Kalbris, Rimbaud, Robinson, gagneurs de terres rêvant de tours du monde menant en Casamance, à Vancouver ou Zanzibar, et comme ils se retirent, l’ombre descend dans la venelle, complice, rôdant pour les laisser partir sans être vus, passagers clandestins fuyant, tout allégés de rêves, vers les vallons gonflés de vent.
Carte blanche à André Markowicz et Françoise Morvan (Editions Mesures) - Lectures par Matthew Vanston - dimanche 1er octobre 2023, 17h15-18h15, Château du Val Fleury, Gif-sur-Yvette (Paris-Saclay).
Festival Vo-Vf, traduire le monde (les traducteurs à l'honneur)