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Citations sur La bascule du souffle (61)

Des pelles, il y en a beaucoup, mais ma préférée, la seule que j’ai baptisée, c’est la pelle en cœur. Elle ne sert qu’à charger ou décharger du charbon en miettes.
La pelle en cœur a une plaque grande comme deux têtes juxtaposées. Elle est en forme de cœur et bien concave : elle pourrait contenir près de cinq kilos de charbon ou tout le postérieur de l’ange de la faim. La tôle a un long cou fermé par une soudure. Par rapport à cette grande plaque, le manche est court et se terminant en T.
D’une main, on lui attrape le cou, et de l’autre, on saisit la poignée située en haut du manche, disons plutôt en bas. Car pour moi, la pelle en cœur se trouve vers le haut, et le manche est secondaire, donc sur le côté ou en bas. J’attrape la tôle par le haut du cou, et la poignée par-dessous. Je maintiens l’équilibre, et la pelle en cœur, bousculée dans ma main, se met à basculer comme le souffle dans mon sein.
Une pelle en cœur, ça se rode ; ensuite sa plaque de tôle est bien luisante, avec une soudure semblable à une cicatrice dans la paume – et la pelle entière est une sorte de second équilibre, mais extérieur.
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je ne sais toujours pas si j’ai des insomnies parce que j’essaye de me rappeler des objets ou si, à l’inverse, je me bagarre avec eux, ne pouvant fermer l’oeil de la nuit
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Dans le wagon à bestiaux, les hommes s'entraînaient à se saouler, et les femmes à chanter tout leur saoul :
Il fleurit le bois-gentil
Dans le fossé enneigé
Les mots que tu m'as écrits
Ne cessent de m'affliger
A force de rabâcher ce refrain solennel, on ne savait plus si on le chantait pour de bon, vu que l'air ambiant chantait. Le refrain nous clapotait dans la tête, adoptait le rythme du train, blues du wagon à bestiaux et, sur des kilomètres, chant du temps qui marche. Ce fut la chanson la plus longue de ma vie, les femmes la chantèrent pendant cinq ans, et lui donnèrent le mal du pays que nous avions tous.
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Le papier, faut aussi l'économiser et bien le cacher. Quand on se fait pincer avec du papier, on se retrouve au cachot, onze marches sous terre, dans un puits en béton si étroit qu'on n'y tient que debout. Puant d'excréments, plein de vermine. Et fermé en haut par une grille de fer.
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Quant au ciment, il manquait en permanence. Il s'ingéniait à diminuer. Il fallait se méfier de lui, il pouvait se transformer en cauchemar. Le ciment était capable de disparaître de son propre chef, mais aussi de rentrer en lui-même. Alors tout était plein de ciment, et il n'y en avait plus.
Le brigadier criait: faut faire attention au ciment.
Le chef d'équipe criait: faut économiser le ciment.
S'il y avait du vent: faut pas qu'il s'envole.
Et s'il pleuvait ou neigeait: faut pas qu'il se mouille.
Les sacs de ciment sont en papier, un papier trop fin pour un sac plein. On a beau le porter seul ou à deux, l'attraper par le ventre ou aux quatre coins, il se déchire. Le sac déchiré, c'est la fin des économies de ciment. S'il est sec, la moitié se répand par terre. Humide, la moitié reste collée au papier. Il n'y a rien à faire: plus on économise le ciment, plus il vous file entre les doigts. Le ciment, c'est de l'arnaque, au même titre que la poussière des rues, le brouillard ou la fumée-- il se volatilise, rampe sur le sol, vous colle à la peau. On en voit partout, et il ne se laisse prendre nulle part.
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En guise de cerveau, on n'a plus dans la tête que l'écho de la faim. Il n'y a pas de mots adéquats pour dire la souffrance de la faim. Aujourd'hui encore, je dois montrer à cette faim que j'y ai échappé. C'est tout bonnement la vie que je mange, depuis que je n'ai plus le ventre creux.
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Quand la faim est à son comble, nous parlons d'enfance et de nourriture. (p. 131)
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"Je lui racontai donc en vitesse mon rêve récurrent d'un cochon blanc que je chevauchais pour rentrer chez moi. En une seule phrase et sans le cochon :
Figure-toi qu'en rêve je suis souvent dans le ciel, à califourchon sur un chien gris qui me ramène chez moi.
Elle demanda : c'est un des chiens de garde.
Non, un chien du village."
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Voilà soixante ans que j’essaie, la nuit, de me rappeler les objets du camp. Ce sont les affaires de mon bagage de nuit. Depuis mon retour du camp, la nuit d’insomnie est une valise en peau noire que j’ai dans le front. Mais depuis soixante ans, je ne sais toujours pas si j’ai des insomnies parce que j’essaie de me rappeler des objets ou si, à l’inverse, je me bagarre avec eux, ne pouvant fermer l’œil. Quoi qu’il en soit, la nuit prépare sa valise noire, et c’est contre mon gré, j’insiste sur ce point. Me souvenir, je ne peux pas m’en empêcher, que je le veuille ou non. Et si c’était volontaire et non obligatoire, je préférerais ne pas être obligé de le vouloir.
Parfois, je suis assailli par des hordes d’objets du camp, ils n’arrivent plus à un par un. Par conséquent, si ces objets viennent me hanter, ce n’est pas du tout pour s’en prendre à ma mémoire – ou ce n’est pas seulement dans ce but – , c’est à seule fin de me tracasser. Il suffit que je pense aux affaires de couture emportées dans mon nécessaire de toilette pour qu’intervienne un mouchoir dont je ne sais plus à quoi il ressemblait. Viens s’y ajouter une brosse à ongles dont je ne sais même pas si je l’ai eue. Et un miroir de poche qui existé ou non. Et une montre dont j’ignore où elle est passée, à supposer que je l’ai emportée. Des objets qui n’avaient sans doute rien à voir avec moi viennent me chercher. Ce qu’ils veulent, c’est me ramener chez moi au camp. Quand ils arrivent en masse, ils ne se contentent pas d’être dans ma tête. J’ai des lourdeurs d’estomac qui me remontent jusqu’au palais. La bascule du souffle est chamboulée, je suis hors d’haleine. Cette espèce de brosse-peigne-aiguille-ciseaux-miroir-à-dents est un monstre, de même que la faim en est un. Et ces objets ne reviendraient pas à me hanter sans l’autre objet qu’est la faim.
La nuit, quand ils viennent me hanter en m’asphyxiant, j’ouvre la fenêtre en grand, et je reste la tête à l’air libre. Dans le ciel, une lune semblable à un verre de lait froid me rince les yeux. Ma respiration retrouve sa cadence. J’avale de l’air frais pour ne plus être au camp, puis je ferme la fenêtre et me recouche. La literie n’est au courant de rien, elle me réchauffe. L’air de la pièce me regarde, il sent la farine chaude.
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La faim est un objet.

L’ange est monté au cerveau.

L’ange de la faim ne pense pas. Il pense juste.

Il ne fait jamais défaut. Il connaît mes limites et sait sa direction.

Il sait mon origine et connaît son action.

Il savait déjà tout avant de me rencontrer, et il connaît mon avenir.
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