Ce roman de
Haruki Murakami est la suite de ses deux tout premiers récits intitulés « Écoute le chant du vent » et « Flipper, 1973 ».
On est en 1978. le narrateur a maintenant la trentaine. Il travaille toujours avec son ami d'enfance (son associé). Mais désormais, leurs affaires ont bien évolué (leur petit bureau de traductions s'étant transformé en agence publicitaire performante).
Le héros a divorcé, mais il est resté ce même « bon vivant » (amateur de bières et grand fumeur).
Il a toujours du mal à s'engager et à donner du sens à sa vie banale. Il est nonchalant.
Il vit seul, avec son vieux chat, dans un petit appart tokyoïte. Il fait la rencontre d'une jeune fille (occasionnellement mannequin), dont il tombe littéralement sous le charme. Il est absolument fasciné par la grande beauté de ses oreilles ! (« le galbe du lobe dépassait en douceur toutes les courbes de la terre, le volume de sa chair potelée transcendait la vie. »)
Tout à l'air de se passer pour le mieux, quand un jour, se présente à l'agence un mystérieux homme en noir (« Un homme étrange aux propos étranges »). Il s'avère que cet homme mystérieux est le n°2 d'une organisation mafieuse de l'extrême droite japonaise (organisation qui a une emprise totale sur la politique et l'économie du pays et dont la puissance ne semble pas avoir de limites !).
Et l'intrigue commence ici : en fait, l'agence a fait paraître une photo de moutons pour illustrer la campagne publicitaire d'une société d'assurances sur la vie, et l'homme en noir demande qu'on lui explique pourquoi, sur cette photo, figure un mouton de race inconnue, qui porte sur le dos un dessin en forme d'étoile !
Mais, le héros est incapable d'expliquer cette étrangeté, et il refuse de lui révéler la provenance de la photo originale. Alors l'homme en noir le menace, lui disant qu'il a toutes capacités pour porter un grave préjudice à leur agence. Ainsi, n'ayant pas d'autre choix, le héros va devoir impérativement retrouver au plus vite le mouton sauvage en question…
Au passage, on apprend qu'il y a beaucoup d'espèces de moutons, mais cet animal qui nous semble gentil, a des moeurs rudes : le bélier dominant élimine toute concurrence et se renouvelle à chaque saison, épuisé par le labeur intense qu'il a dû fournir auprès des brebis.
On fera le parallèle avec ce qui se passe dans le récit, et ce qui se passe en politique ! Une jolie métaphore !
En effet, les hommes ont des partisans qui les font durer aux plus hautes fonctions, ce qui aboutit à des oligarchies. Très conservateurs, ils s'accrochent à leurs privilèges et n'acceptent que les idées qui les servent !
S'en suivent beaucoup de péripéties où interviennent de curieux personnages : le Maître, le chauffeur de limousine, un Docteur- es moutons, un homme-mouton, …
Quelques notions d'histoire du Japon et de l'Asie s'insèrent aussi dans le récit (évocation de la guerre russo-japonaise, du panasiatisme : idéologie qui promeut l'unité des peuples asiatiques contre l'impérialisme occidental).
Et tout s'enchaîne parfaitement dans cette histoire. Tous les plus petits détails se mettent progressivement et tout doucement en place pour former un grand ensemble très cohérent à la fin !
Murakami nous fait naviguer dans un récit où on ne sait pas toujours vraiment distinguer ce qui est réel de ce qui est imaginaire. On se retrouve comme embué dans le fantastique, et ça fait du bien !
J'ai trouvé que l'écriture de Murakami était plus riche dans ce roman que dans les 2 récits précédents.
Il sait choisir habilement quelques petites phrases pour préparer le passage vers une atmosphère pesante et inquiétante : « Les cigales se limaient désespérément le corps comme pour rappeler une saison approchant de sa fin », « Un silence habité par le pressentiment d'une mort inévitable » …
Et quand l'atmosphère est pesante, Murakami glisse une phrase d'humour dans le récit, comme pour détendre et peut-être aussi pour rendre le lecteur plus attentif à ce qui va suivre ensuite…
« - Alors à plus tard » dit l'homme. Et il raccrocha, d'une façon qui me laissa un arrière-goût désagréable. Pour m'en débarrasser, je fis une trentaine de pompes, une vingtaine d'abdos, la vaisselle et une lessive de trois jours ».
La description de son vieux matou m'a particulièrement amusé ! « Ses coussinets ressemblaient à des pois chiches tout racornis, ses oreilles étaient définitivement infestées par la vermine et, l'âge aidant, il pétait une bonne vingtaine de fois par jour », et aussi « Trois pigeons bien dodus perchés sur un poteau électrique poussaient des roucoulements dénués de sens. A moins que ces roucoulements ne voulussent au contraire dire bien des choses. Que leurs cors au pieds leurs faisait mal, qui sait ? »
Et quand le récit vire à l'enquête policière, Murakami met dans les mains de son héros « Les aventures de Sherlock Holmes » ! Et parfois le héros regarde un «
Hitchcock » !
Des thèmes reviennent souvent dans ses récits, tels que le temps qui passe et le sens à donner à sa vie : « Ainsi ai-je vécu ce mois, un peu comme d'autres noircissent les unes après les autres les dates sur un calendrier » ; « Il y a des choses qui s'en vont avec l'oubli, d'autres en se volatilisant, d'autres encore dans la mort ».
Il y a aussi beaucoup de sensualité et de lyrisme – attiré par les corps, les oreilles : « Elle était irréellement belle. D'une beauté que je n'avais jamais vue ni imaginée jusqu'alors… Tout y était exagéré jusqu'à l'arrogance… » et « Elle avait vingt et un ans, un corps splendide, tout élancé, et deux oreilles d'une perfection ensorcelante ».
De temps en temps apparaissent de délicates images poétiques, comme :
« le silence était posé là-dessus telle une fine poussière ».
Au fil de la lecture de ce roman, mon intérêt n'a fait que croître, et j'étais pressé de connaître la fin de l'histoire ! J'y ai davantage découvert l'univers de Murakami. C'était différent de ce que j'avais pu lire auparavant et j'ai adoré l'intrigue, ce côté surréaliste et l'atmosphère qui s'en dégage.
Et d'ailleurs, pour saisir l'histoire dans sa globalité et sa continuité, je suis satisfait d'avoir lu « Écoute le chant du vent » et « Flipper, 1973 », avant.
J'ai été tellement emballé par ce roman, que j'ai décidé de lire «
Danse, danse, danse », qui est une suite de «
La course au mouton sauvage » et qui, avec les récits précédents forme une tétralogie !