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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Je sors de cette longue lecture avec un sentiment de stupeur pour avoir si longtemps ignoré une institution qui, à l'évidence, a dû avoir une très grande importance dans le l'Histoire intellectuelle et mondaine de la majeure partie du XIXe siècle en France. Il s'agit d'une « hôtellerie pour fous » privée et très onéreuse, qui a vu défiler en son sein ou à ses alentours les plus grands noms de l'époque : Gérard de Nerval, la comtesse de Castiglione, Marie d'Agoult alias Daniel Stern – la mère des enfants de Liszt –, Charles Gounod, différents membres de la famille de musiciens et lettrés Halévy, dont Léonie, épouse de Fromental, et Geneviève, épouse de Georges Bizet, et encore Théo van Gogh, le frère de Vincent, Michel Verne, le fils de Jules, et – last but not least – Guy de Maupassant qui y mourut horriblement. Il ne manque à la liste que Baudelaire, et nous savons que son absence ne fut due qu'à des raisons pécuniaires...
Deux questions m'ont accompagné en permanence : au-delà de la syphilis (ne concernant que quelques-uns de ces personnages) qui sera soignée un siècle plus tard par de la simple pénicilline, ainsi que des causes sociologiques de l'hystérie, comment expliquer cette boucle néfaste ou cette prophétie autoréalisatrice qui semble relier le Romantisme à la folie (et à son admiration) ? Et d'autre part, comment justifier le succès inouï de cette maison de santé transmise de père (Esprit Blanche - 1796-1852) en fils (Emile Blanche - 1820-1893) durant plus des trois derniers quarts du XIXe s., qui, de toute évidence, ne pouvait se vanter que d'un taux de guérisons dérisoire, d'ailleurs très logiquement proportionnel à l'ignorance abyssale des maladies mentales à l'époque et à la survivance de méthodes thérapeutiques intemporelles : saignées, purges, bains, promenades, sans (encore) aucune expérimentation des substances psychotropes autrement que comme des drogues – éther, opiacés, absinthe –, ni le début d'une réflexion sur des thérapies proprement psychiques ?
Je me donne quelques éléments de réponse : dans le flou des définitions de « mélancolie », « lypémanie » et de « délires », il était admis qu'un surmenage intellectuel s'apparentait ou pouvait provoquer la folie : les créateurs intellectuels pouvaient donc en être plus souvent atteints que les autres. Certains pensaient même que le génie en était une forme. Par ailleurs, la grande innovation d'Esprit Blanche, emboîtant le pas de Philippe Pinel et d'Etienne Esquinol, fut de libérer les psychopathes des sévices physiques – sinon peut-être moraux. Les hôpitaux publics, qui coûtaient vingt fois moins cher que la pension chez les Blanche, devaient certainement conserver la rudesse des anciens usages. À l'opposé, outre que la mansuétude caractérielle des deux aliénistes, ceux-ci offraient à leurs patients de leur temps sans compter, des conditions de vie tout à fait privilégiées, une certaine discrétion et même la conversation et parfois la table d'un praticien cultivé, puriste de la langue et humaniste dans l'âme, mélomane, collectionneur et sensible aux arts – ce sera d'autant plus le cas lorsque Jacques, le fils d'Emile, se fera une certaine renommée dans le milieu de la peinture. Il est évident que certains patients, si bien entourés, soumis à une hygiène de vie exemplaire, aient pu presque se sentir guéris... Une mondanité toujours savamment entretenue, avec une faiblesse pour les décorations, une inébranlable modération politique, une dévotion maniaque pour sa « maison » et ses patients, et enfin une bienveillance universellement reconnue expliquent pour leur part le phénomène de mode. Il est intéressant de comparer la personnalité d'Emile Blanche avec celle de son grand rival que tout opposait mais qui décéda presque en même temps que lui : Jean Martin Charcot.

Ce livre est un monument de documentation, apte à peindre tout un horizon culturel et une époque entière. On peut lui faire le reproche, cependant, de n'avoir pas su trancher entre : la description de la « Maison du Dr Blanche » comme institution, éventuellement en s'arrêtant sur l'évolution des thérapeutiques entre père et fils, c-à-d. sur l'aspect plus proprement psychiatrique ; la biographie des deux (voire trois) héros – Esprit, Emile, Jacques Blanche - ; ou bien la narration de leurs rencontres avec les personnages célèbres. Tour à tour, et selon un fil qui reste surtout chronologique, il y a un peu de tout cela, y compris un chapitre très séduisant intitulé « La folie au féminin » qui, de surcroît, est le seul qui donne d'Emile Blanche un portrait franchement antipathique pour le lecteur contemporain, pour peu qu'il ait un minimum de sensibilité féministe : face à Marie Esquiron, l'on saisit une autre facette de la psychiatrie du XIXe siècle, totalement idéologique et misogyne.
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Je salue d'abord le travail de recherches de l'auteur. D'autant plus, comme elle le précise en prologue, qu'une grande partie des archives des hôpitaux psychiatriques n'étaient pas sauvegardés. Laure Murat nous emmène dans la vie quotidienne de la maison de santé des docteurs Blanche Esprit, puis Emile, père et fils qui a voulu scrupuleusement oeuvrer dans la continuité de son père.
Asile de fous, oui, mais asile novateur par le choix du procédé thérapeutique de Blanche. Cette maison de repos (on peut utiliser un tas de qualificatifs pour la présenter), fonctionne comme une pension de famille. Les patients les plus calmes dînent à la table du docteur, puis passent au salon où ils peuvent jouer du piano, aux échecs, ou simplement rêvasser à la fenêtre donnant sur le parc. Dans cette maison, pas de tortures physiques, pas d'humiliation; le patient, ici, n'est pas considéré comme un animal, un sous-homme; il est écouté. Et en ce début du XIXe siècle, c'est le premier pas vers la psychanalyse, alors inconnue. du profond respect que Blanche tient envers ses patients, il s'ensuivra une clientèle plutôt bourgeoise, voire aristocratique, dont les proches sont soucieux de discrétion. le médecin n'oubliera pas pour autant les humbles et les indigents.
Gérard de Nerval et Guy de Maupassant, personnages ô combien célèbres, trouveront dans cette maison une place de choix, comme l'auteur leur rend hommage dans le livre en y consacrant à chacun un bon chapitre. Mais Laure Murat n'oubliera pas des histoires, des anecdotes de tas de patients méconnus.
Le chapitre sur les femmes considérées comme folles et internées, durant ce siècle, est très intéressant. On y apprend beaucoup sur la condition de la femme à cette époque, sur le désir d'indépendance et d'émancipation de certaines d'entre elles, désir qui les a conduites très souvent à l'asile, parce qu'elles étaient incomprises, parce que l'époque ne le permettait pas, parce que ce n'était pas de bon ton, tout simplement.
L'auteur nous décrit également le docteur Blanche comme un personnage tellement bon et généreux que beaucoup l'idolâtrait presque. Mais ce n'était pas un saint non plus. C'était un homme qui cherchait, qui s'interrogeait et qui faisait des erreurs. Evidemment, avoir le pouvoir absolu sur la vie de quelqu'un , le pouvoir de vie ou de mort aussi (il pouvait faire éviter la guillotine à un meurtrier en le qualifiant de non-responsable de ses actes), qui n'en abuserait pas ? Et pourtant, après la lecture de ce livre, je n'ai pas eu l'impression que Blanche, père ou fils,n'en ait abusé.
Bien que le sujet soit dur, le contenu et la lecture de ce livre ne l'est pas.
J'ai beaucoup apprécié et je le recommande à tous, non seulement pour son contenu historique, mais aussi pour les leçons d'humanité qu'on peut en tirer.
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Encore une unanimité du Masque et la Plume… qui s'avère à la hauteur de l'enthousiasme de mes débatteurs préférés. C'est un travail de recherche brillant que nous livre Laure Murat. Point n'est nécessaire de s'effrayer, ce livre, s'il n'est pas un roman, n'a pas non plus la sécheresse de l'essai, il se lit tout seul.

Les docteurs Blanche – père et fils – étaient des hommes engagés, qui ne rechignaient pas devant la tâche qu'ils s'étaient donnée. En ce XIXe siècle où le fou sert de chair à pâtée à diverses expérimentations, où l'église refuse de lui donner les derniers sacrements et où la syphilis fait des ravages, la maison du docteur Blanche semble un havre de paix pour l'insensé (qui a les moyens d'en payer la pension). Les méthodes de traitement sont pourtant les mêmes qu'ailleurs. On purge à tout va, sangsues, saignées, vomitifs, sont censés expulser la folie du corps des malades. On fait macérer pendant des heures dans des baignoires. On a foi, surtout, en une thérapeutique morale et paternaliste issue de la bourgeoisie. C'est dire l'impuissance des médecins. En est témoin le taux de guérison, estimé à 7,9 % dans les cliniques privées.

Dans ces asiles qui accueillent pourtant nombre d'artistes, la lecture est considéré avec méfiance. Selon Esquirol : “onanisme, dévotion exaltée, évacuation habituellement supprimées, excès d'études et de veilles, lecture de romans” sont sources de désordre mentaux. Émile Blanche interdit “toute introduction de comestibles, de boissons spiritueuses, d'instruments tranchants ou piquants, de livres, de journaux, et généralement d'objets susceptibles d'un emploi dangereux ou nuisibles dans un asile d'aliénés.” (156)

Gérard de Nerval, pensionnaire régulier des lieux, a une conscience aiguë de son état. Sa lucidité est une source de souffrance. Il écrit :
“La réalité nue des choses, la vie telle qu'elle est dans sa brutalité, ne serait-ce pas là la vraie folie ?” (73)
“Le monde est plein de fous… et qui n'en veut pas voir
Doit rester dans sa chambre… et casser son miroir.”

Guy de Maupassant provoque l'empathie, lui qui ne voit sa raison s'égarer que par l'action de la syphilis et qui aurait pu être traité simplement et efficacement avec de la pénicilline – encore inconnue à l'époque.

Les femmes sont les plus mal loties. Dans cette “ société où l'image de la femme indépendante est suspecte et son émancipation considérés comme un danger social” (156), toute forme de rébellion, fut-elle bénigne, est susceptible de conduite à l'asile. Charcot, qui considère que la folie des femmes est hormonale, concocte un compresseur ovarien.
“Toute femme est faire pour sentir, et sentir, c'est presque de l'hystérie” (Ulysse Trélat, aliéniste)

Il est bon, parfois, de savoir d'où l'on vient…
Lien : http://versautrechose.fr/blo..
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Ce livre se referme avec quelque nostalgie. Il invite à la rêverie orientée vers notre intériorité, et le XIXème siècle observé ici dans "la pliure de la page" (page 463) située entre l'invention de la psychiatrie institutionnelle et l'avènement de la psychanalyse.

Il s'agit d'une enquête, ou bien d'une monographie, mais de quel sujet : de la famille Blanche, du père Esprit au fils Emile et au petit-fils Jacques-Emile (ancien élève du lycée Condorcet, comme Marcel Proust) ? des débuts de la psychiatrie, tout juste libérée de la répression depuis Pinel au début du siècle, et marquée finalement par Jean Martin Charcot qui décède le lendemain d'Emile en 1893 ? de leur asile, qui est aussi leur bourgeoise maison, sise d'abord à Montmartre (1821-1846), la folie Sandrin, puis à Passy (1846-1893, pour le second docteur Blanche), l'hôtel de Lamballe, soit deux fois à la campagne mais si près de Paris ? du thème de la folie dans ses rapports avec l'art, les femmes, le droit, au XIXème siècle ? du XIXème siècle justement, à travers une illustre famille pour l'époque et la belle société, un peu oubliée depuis ?

On apprécie l'abondance des documents qui ont nourri le travail de Laure Murat, dont les registres de la clinique (presque - hélas - tous retrouvés), les rapports d'expertise médico-légale rédigés par Emile ou l'abondante correspondante des deux docteurs aliénistes et mondains. On se dit à part soi qu'on lirait bien le chapitre entier consacré à Emile Blanche dans une source évoquée en fin de volume (page 446), Nos grands médecins d'aujourd'hui (1891), du Docteur Maurice de Fleury...

On se plonge sans frein (autre que celui des choix de l'auteur) dans la vie culturelle et parfois l'intimité biographique de nombreuses personnalités qui ont donné à la maison du docteur Blanche sa notoriété : de Nerval à Gounod, de Marie de Gasté à Léonie Halévy ou Marie d'Agoult, de Théo van Gogh à Guy de Maupassant, par exemple.

On reste longtemps songeur devant le portrait de deux hommes et ce qui motive leur investissement professionnel et personnel dans une pratique vécue au milieu de leurs "fous", Emile Blanche plus longuement raconté surtout, à la suite de son père : aliéniste, bourgeois, conservateur, autoritaire, modéré, bienveillant, philanthrope, mondain, humain...


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Laure Murat nous invite dans cet ouvrage à visiter cette clinique privée pour aliénés, cette « villa fashionable et même aristocratique », aussi célèbre pour ces patients (Nerval, Gounod, la comtesse de Castiglione) que pour son bien-aimé directeur, le docteur Émile Blanche, « l'ami de tous les fous intelligents, qui avait chez lui une échelle ascendante d'aliénation, commençant aux poètes ».

Les Blanche père et fils (dont le premier s'appelait Esprit, le top pour un aliéniste) sont à la charnière historique entre l'invention de la psychiatrie institutionnelle (à laquelle ils ont grandement contribué, plus comme praticiens que comme théoriciens) et l'avènement de la psychanalyse, qui adviendra quelques décennies après la mort d'Émile.

Une lecture que je recommande à tous ceux pour qui le XIXe est décadent et singulier ou n'est pas du tout.
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